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Ma fille est handicapée : une naissance précipitée

La dernière fois, je t'avais raconté ma grossesse forcément spéciale et laissée à la veille de mon .

Ce jour-là, les trois hommes de ma vie ont une sacrée gastro ! Malgré les soucis avec mon bébé, ma gynécologue lève mon interdiction de marcher : le col est du béton armé. (Ha ha. Du béton armé.)

Du coup, je cours un peu : l'école, le médecin, la pharmacie, les chevets de mes malades… Je suis en grande forme ! Bien plus que ces derniers mois ! Je mange même normalement ! (Mais POURQUOI ça ne me met pas la puce à l'oreille ? Comme quoi, même après deux grossesses, on ne s'écoute pas…)

Je m'endors super bien : aucune remontée acide (encore un truc bizarre) ! Et puis, je fais un rêve bizarre. Il est 4h du matin et je rêve que j'accouche. Ou plutôt, que je perds les eaux (dans mon rêve, c'est en pleine rue bondée). Je me réveille avec cette sensation de mouillé, que je mets sur le compte… ben, de rien, je suis complètement dans le gaz. Je me lève pour boire. Et là, je perds les eaux de façon très, très franche.

Je secoue comme un prunier mon mari, qui commence à préparer les garçons (de toute façon, ils devaient aller chez leurs grands parents, pour que je puisse me reposer après l'amniocentèse prévue ce même jour). J'appelle la . Le gros gag. Le mec qui gère les appels de nuit ne doit pas être bien réveillé non plus, car après avoir demandé les urgences de la maternité, il m'envoie en pédiatrie… Ça me fait rire, sur le coup. Je réussis quand même à prévenir la maternité de mon arrivée, car j'ai une heure de route.

Dans la voiture, j'ai d'énormes contractions, de vraies contractions de travail, avec bébé qui appuie bien comme il faut sur le col. Je me demande encore pourquoi je n'ai pas plutôt appelé les pompiers. (Vraiment, si tu te retrouves dans le même cas, fais-le : tu seras sans doute plus rassurée que moi…)

Je te passe les détails de l'attente à la maternité. C'est tout sauf fun. Une attente rythmée de touchers vaginaux où je suis à un doigt de foutre mon pied dans la tronche du gynéco de garde.

9h, on me prépare finalement pour une . Dans cette maternité, on ne laisse pas vraiment le choix : après une première césarienne, on fait d'office une autre césarienne. De toute façon, comme ma fille est prématurée de deux mois, je préfère qu'ils la sortent vite.

Ils la sortent, ça oui. Vite, non. Ils sont à quatre sur moi à essayer de sortir un petit bout de chou d'1,7 kg. Une histoire d'adhérence, je n'ai pas cherché à comprendre. Ce qui compte, c'est qu'ils l'aient finalement sortie. J'entends un petit râle trop adorable, mais je n'ai pas le temps de voir ma fille. Ils l'emmènent en salle de soins immédiatement. Je hurle : « Appelez le papa ! Je ne veux pas qu'elle soit seule ! »

Nous sommes le 24 janvier 2012, il est 9h31. La deuxième chose que je dis à l'infirmière à coté de moi est : « J'espère que vous avez annulé l'amniocentèse qui était prévue à 9h30 ! »

J'arrive dans ma chambre à 14h. Je n'ai vu que des micro-photos de ma fille. Je harcèle l'équipe pour monter la voir en néonat'. Je suis prête à y aller à pied (alors qu'après une césarienne, il faut attendre le lendemain pour se déplacer, normalement) : je n'ai pas mal du tout, je suis même en forme. Je veux la voir.

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Et puis, un appel de la néonat'. Ma fille, Anaïs, ne respire pas bien toute seule : elle est très fatiguée par sa naissance (tu m'étonnes !), et comme l'hôpital est un niveau II, ils n'ont pas ce qu'il faut pour la soigner correctement. Elle va être transférée dans l'hôpital niveau III de la région. À 150 km de moi.

J'accepte cette décision, bien sûr, mais l'équipe de la maternité doit supporter mes demandes incessantes. Je suis brancardée et emmenée dans le couloir où ma puce attend pour son transfert. En hélicoptère. Attends, c'est une star, normal ! Ma première rencontre avec ma fille.

Elle est branchée de partout, intubée, ventilée, sédatée (à cause de la douleur provoquée par sa naissance). Mais elle est douce. Et chaude. Elle a une masse de cheveux blonds. Je n'ai qu'une envie : la prendre dans mes bras. Mais je ne peux que me tordre dans tous les sens pour la toucher.

Je reste cinq jours sans voir personne, ou presque. Mes enfants étant malades, je refuse qu'ils viennent contaminer tout l'étage avec leurs microbes. Mes parents passent me voir, ma meilleure amie aussi. Les filles d'un forum que je fréquente m'envoient des tas de messages, et de bonnes ondes. Ma chef m'appelle pour prendre de mes nouvelles, et des nouvelles de ma fille. J'ai des fleurs de la part de l'infirmière de là où je bosse.

Je suis seule physiquement, mais psychologiquement, je suis bien épaulée. J'en profite pour me reposer : j'ai des boules quiès pour éviter de me faire réveiller la nuit par les pleurs des autres bébés. Je m'arme autant que possible, parce que je sais que les prochains mois vont être difficiles.

J'obtiens une autorisation de sortie pour aller voir ma fille. J'en profite pour faire un énorme câlin à mes garçons, qui me manquent terriblement. Mon premier me pose plein de questions, auxquelles je ne peux pas répondre…

Arrivée en réanimation néonatale, la première chose qui me frappe est cette sensation de connaître les lieux. Je suis aide-soignante. Ces bruits, ces machines, ces protocoles, je les connais déjà. Mais ils me font une impression particulière : c'est ma fille qu'on soigne, et je ne peux pas faire grand chose. Ce sentiment d'impuissance est horrible.

Avec mon mari, on a rendez-vous avec le pédiatre chef. Il nous explique tout, sans détour. Qu'Anaïs peut très bien s'en sortir, comme mourir. Avoir des séquelles ou ne rien avoir. En gros, ils n'en savent rien.

(Épisode drôle : je vais au lactarium pour signer différents papiers et faire les examens nécessaires pour donner mon lait à ma fille et aux autres prématurés. Je vais ENFIN aux toilettes. Le verrou reste dans mes mains. Attends, attends. Imagine la scène. Je fais 150 km pour aller voir ma fille, alors que j'ai mal. J'ai quoi, trois heures pour la toucher, lui faire un bisou, voire un câlin ? Et je me suis enfermée dans les toilettes ! Sérieusement ? Je crois qu'il n'y a qu'à moi que ça pouvait arriver…)

Finalement, je peux avoir ma fille contre moi. Le peau à peau est une expérience magique, magnifique, avec un .

Bébé prématuré

Crédits photo (creative commons) : Jos Purvis

Je ne pleure pas de toute la journée. Mais en rentrant, mon mari et moi nous nous disputons très violemment. Il me faut trouver un coupable, il est là. Je n'en suis pas fière. Mais c'est l'occasion d'ouvrir les vannes, de se dire les choses. On se réconcilie avant que je ne rentre à l'hôpital.

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L'auxiliaire de puériculture reste discuter avec moi trois longues heures, cette nuit-là. Durant tout mon séjour, l'équipe a été en or.

Enfin, je rentre chez moi. Pour entamer dans la foulée la plus longue et la plus difficile séparation de ma vie de maman : celle d'avec mes garçons. Je vais vivre pendant deux mois dans une Maison des Parents, à coté de l'hôpital où est soignée Anaïs. Par chance, avant la naissance, mon mari a posé deux mois de congé. Il peut donc s'occuper de nos garçons, de la maison, de nos animaux…

Ces deux mois sont difficiles. Anaïs, après une petite semaine en réanimation, est transférée juste en face, en néonat'. Elle commence à perdre du poids, ne s'éveille pas…

Je dois pleurer toutes les larmes de mon corps pour qu'on m'autorise à la prendre contre moi, le jour de mon anniversaire. Qui s'est avéré le pire de toute ma vie : Anaïs a fait un malaise cardiovasculaire.

Ce jour-là, bizarrement, je ne suis pas parmi les premières mamans arrivées. Je traîne. Je petit-déjeune tard. Je n'ai pas envie d'y aller. Et quand, enfin, je me décide, la cadre me prend à part et m'annonce qu'Anaïs a été transférée une nouvelle fois en réanimation. Je lui demande si elle va mourir. La cadre ne sait pas me répondre. Je lui demande s'il est possible de choisir d'arrêter les soins, car il est hors de question qu'elle souffre. Elle me répond positivement.

Je cours comme une dératée en réanimation. Elle va « bien ». Mais surtout, pour la première fois depuis sa naissance, dès qu'elle ouvre ses petits yeux, elle me cherche du regard et, une fois qu'elle m'a trouvée, ne me lâche pas. Elle tient mon doigt très fort. Quand je me mets à pleurer, l'interne me caresse le dos et me dit qu'effectivement, ça doit être dur pour moi. Elle doit me prendre pour une folle quand je lui réponds : « Mais non ! Anaïs me regarde ! Elle me tient le doigt ! Elle ne m'avait jamais fait ça… » Je sais à ce moment-là qu'elle va battre, que je n'aurai pas à prendre la décision d'arrêter les soins.

Ces deux mois sont aussi ponctués par la visite de mes deux « grands » garçons. Je veux qu'ils voient par eux-mêmes pourquoi je ne suis pas avec eux.

La première rencontre entre Anaïs et ses frères est magique et, surtout, je me rends compte que mon aîné est un petit garçon exceptionnel.

Il y a un couloir, qu'entre mamans on surnomme « le zoo », où les amis et la famille peuvent voir le bébé (seuls la maman et le papa pouvent aller dans le box). Par chance Anaïs est dans une couveuse juste à coté de la vitre du « zoo ». Mes garçons prennent une chaise pour l'observer.

Mon aîné, 3 ans, s'exclame : « Ah bah dis donc ! Elle a raison de rester avec Nanis, Maman ! T'as vu Papa, comment elle est toute petite petite ? » Mon deuxième de 2 ans, lui, hurle quand je prends Anaïs dans mes bras. Il a grand besoin, lui aussi, des câlins de sa maman.

Et puis, Anaïs grandit, grossit, est transférée à nouveau dans l'hôpital où elle est née. Quelle joie de ne plus la voir dans une couveuse ! Je peux la prendre quand je le veux, la nourrir moi-même… Je deviens enfin une maman, une vraie.

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