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A la une / Témoignage

Rassurer quand on a peur soi-même, ou comment j’ai parlé de la fusillade de Charlie Hebdo à mes enfants

C’est mercredi.

Ma petite dernière de 20 mois fait la sieste, sa soeur de 5 ans regarde un épisode de Mon Petit Poney. Mon fils de 11 ans joue aux jeux vidéos, son grand frère de 15 ans est chez un copain, où il doit faire sensiblement la même chose.

C’est la routine. Chaque mercredi, ils ont leur temps d’écran pendant la sieste… et moi aussi. Un moment de calme dans une journée où les activités s’enchainent à grande vitesse.

C’est là, devant mon écran, que j’apprends la nouvelle. Deux hommes armés sont entrés chez Charlie Hebdo et ont tiré dans le tas. Des dessinateurs que j’ai l’impression de connaître depuis toujours seraient morts.

Je suis atterrée. Prostrée devant mon écran. Je n’arrive pas à bouger, immobile comme une statue devant mon écran, et pourtant je sens qu’à l’intérieur les émotions font rage. Indignation, colère, tristesse, tout se mélange.

Et la peur, surtout.

Des hommes armés sont en fuite. Ils sont sortis de Paris. La police les traque en Seine-Saint-Denis.

La Seine-Saint-Denis, c’est là où j’habite.

Je me souviens du 11 septembre, quand je m’inquiétais pour ma famille qui vit dans l’état de NY, à quelques heures seulement des tours jumelles. Je pense à ma mère qui me disait que tout le monde était silencieusement terrorisé, ne sachant pas combien d’autres avions allaient encore s’écraser.

J’ai exactement cette même impression. Et un réflexe de mère poule paniquée prend le dessus : où sont mes enfants ??

Les trois plus jeunes sont là, je vais les regarder, m’assurer qu’ils vont bien. C’est totalement irrationnel, comme quand parfois je m’éveille d’un cauchemar où il leur arrive malheur et que j’ai besoin d’aller les regarder dormir paisiblement pour me convaincre que c’était bien un mauvais rêve.

Mais je suis inquiète pour le plus grand, qui doit rentrer en bus de chez son copain dans quelques minutes. Je lui envoie un texto pour lui dire de rester là-bas, de ne surtout pas prendre le bus, qu’il y a eu un attentat sur Paris et que des hommes armés se baladent dans le 93.

Il me répond quelques minutes plus tard : « Je vais bien, t’inquiète. Sache que c’est Charlie Hebdo qu’ils ont attaqué, je pense qu’on craint rien, ici. »

Mon fils de 15 ans est en train de me rassurer et m’expliquer la situation. À moi, sa mère. C’est le monde à l’envers. Cela me sort de ma torpeur. Comme une claque dans la figure qui me remet à ma place. Ma place de Maman, qui doit expliquer, rassurer, protéger.

Mon corps ne bouge toujours pas, mais mon cerveau file à mille à l’heure. Je réfléchis aux bons mots pour en parler à mon cadet. J’hésite à ne pas lui en parler du tout, mais je sais qu’il va voir sur mon visage que quelque chose ne va pas. Et il est certain qu’il en entendra parler ce soir sur FunRadio, qu’il écoute souvent, ou demain à l’école.

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J’entends mon bébé qui se réveille. C’est la fin de la sieste, la fin des écrans… et le début d’une après-midi qui s’annonce pesante.

J’avais prévu d’aller faire une balade dans le centre ville… mais j’ai trop peur.
J’avais prévu d’aller acheter un goûter à la boulangerie… mais j’ai trop peur.
Mon fils avait prévu d’aller à son cours de sport… mais j’ai trop peur.

Je sens la peur qui m’envahit jusqu’au bout des doigts dès que je pense à ces hommes armés qui se baladent dans mon département. J’ai envie d’aller me terrer sous la couette avec mes enfants.

Comment rassurer un enfant quand on a soi-même très peur

Crédits photo : Erik Starck

Je prends un moment pour moi. Aux toilettes. Le seul endroit où je peux vraiment être seule.

Je respire un bon coup et je fais le point sur les faits. La Seine-Saint-Denis est grande, il ne s’agit que de deux hommes. C’était une attaque ciblée sur Charlie Hebdo, rien ne laisse présager qu’il va y avoir d’autres attaques dans des lieux publics. Il y a toutes les chances pour que nous soyons en sécurité. Ok pour le principe de précaution, mais arrête d’avoir peur, bon sang !

Puis je vais parler à mon fils de 10 ans. Je lui explique qu’il s’est passé un truc terrible, que des hommes sont entrés dans les locaux d’un journal à Paris, qu’ils ont tué tout le monde, que la police cherche encore les tueurs, qu’ici on ne craint rien mais que dans le doute, je préfère qu’on reste à la maison cette après-midi.

J’insiste sur le fait que nous ne craignons rien. Presque autant pour moi que pour lui. Il a l’air de me croire.

Je lui dis que je suis là s’il veut en parler, mais que je ne veux pas que sa petite soeur soit effrayée. Je lui demande de ne pas lui en parler, ni d’en parler devant elle.

Nous passons l’après-midi dans le salon, à dessiner, jouer et lire. Je fais de mon mieux pour être présente, mais 97% de mon cerveau est concentré sur mon flux Twitter, que je consulte régulièrement pour avoir des nouvelles de la traque.

Au bout de quelques heures, la tension est retombée d’un cran. Les tueurs sont toujours en cavale, mais je commence à me sentir ridicule d’avoir eu si peur. Je dis à mon aîné qu’il peut rentrer maintenant. Le ridicule me retient de lui conseiller qu’il doit courir dans l’autre sens s’il croise des hommes cagoulés ou un attroupement de voitures de police… mais tout juste.

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Je n’ai pas l’énergie pour faire à manger alors je sors des pizzas du congélo, à la grande joie des enfants.

Plus tard, nous en reparlons avec mes deux aînés. Mon cadet ne comprend pas que je sois toujours préoccupée par cette histoire plusieurs heures après. Je leur explique que parmi les morts, il y a des gens que je ne connaissais pas personnellement mais que j’avais l’impression de connaître pourtant très bien, depuis longtemps. Je leur dis que je suis touchée et choquée, que je suis très triste et je sens les larmes qui me montent aux yeux.

Je leur demande s’ils ont des questions mais non, ils n’en ont pas. A mon mari, ils demanderont si lui aussi est “mal à cause de cette histoire ».

Le lendemain, j’emmène ma fille de 5 ans à l’école en espérant qu’aucun de ses camarades de classe n’aura entendu parler de l’attentat. Elle est petite, elle n’a pas besoin qu’on lui apprenne ce qui s’est passé.

Au retour des classes, je suis rassurée. Elle n’a rien entendu et ils n’en ont pas parlé en classe. La maîtresse me confirme que l’équipe éducative a décidé de ne pas faire la minute de silence et d’aborder le sujet uniquement si les enfants posaient des questions.

Mon cadet me dit que dans sa classe de CM2, le maître leur a expliqué ce qui s’était passé et ensuite leur a demandé de raconter leur version à eux. A midi, ils sont descendus dans la cour pour faire une minute de silence. Mon fils me raconte qu’il était à côté des CP et que ceux-ci ne comprenaient pas ce qui se passait. Parmi ses copains à lui, seul un a vu la vidéo du policier assassiné.

Mon aîné me dit qu’ils ont fait une minute de silence dans son lycée, le bras levé avec un crayon dans la main, que c’était très émouvant. Dans sa classe, ils en ont peu parlé mais ont regardé les interventions de Philippe Val et Patrick Pelloux, très émouvantes, elles aussi. Il me dit que quasiment tous ses amis ont vu les vidéos sur internet et qu’ils en ont beaucoup parlé.

Mes questions intriguent ma fille, elle me demande ce qui se passe. Je lui dis que des gens ont fait des dessins qui n’ont pas plu à d’autres gens et qu’ils se sont fâchés. Mais j’en reste là. A 5 ans, qu’a-t-elle besoin de savoir qu’il y a des fous qui tuent d’autres êtres humains parce qu’ils ne sont pas d’accord avec leurs idées ?

Et elle me dit : « Ah oui, c’est comme la dernière fois quand l’autre fille m’a dit que mon dessin était nul et que j’étais bébête ! Eh bin je lui ai même pas répondu et je suis partie, moi !  »

Si seulement tout le monde pouvait en rester là…