On lit ici et là des témoignages de personnes ayant subi des choses terribles durant leur vie, leur grossesse… et on pense que « ça » n'arrive qu'aux autres. C'était notre cas, à mon mari et moi. On ne pensait pas une seule seconde que le ciel allait nous tomber sur la tête une semaine jour pour jour après les terribles attentats qui ont coûté la vie à beaucoup trop d'innocents, ce fameux 13 novembre dernier.
Au début de ce récit, je suis la très fière maman d'une (adorable) petite fille de 2 ans, que nous avons conçue très facilement, puisque je suis tombée enceinte deux cycles après l'arrêt de la pilule. Il est temps pour nous de « lancer » le deuxième.
Allaitant toujours notre crapule et ayant subi une ablation de mon DIU (stérilet) en février, suite à une hystéroscopie qui l'avait déplacé, je suis totalement libre de toute contraception et donc… potentiellement fertile. Après plusieurs mois sans menstruations, je finis par prendre rendez-vous chez mon gynéco pour en savoir plus. Le test de grossesse étant négatif, je m'inquiète.
Le gynéco pratique l'examen et m'informe que je vais ovuler dans les deux jours. Les jours passent, la fatigue se fait ressentir, des douleurs à la poitrine et des nausées arrivent. Je finis par faire un test de grossesse un soir, en rentrant du boulot. Comme tu t'en doutes, un joli + s'affiche très (trop ?) vite. L'annonce faite au futur papa, nous continuons notre petite vie tranquille le cœur léger.
J'appelle dès le lendemain le secrétariat de ma gynéco, car elle est très très occupée. Pour avoir un rendez-vous rapide, c'est assez compliqué. Mais comme pour la grossesse de ma fille, j'ai connu quelques désagréments au premier trimestre, je veux m'assurer que tout ira bien pour cette grossesse.
La personne que j'ai au téléphone m'envoie gentiment balader, m'informant qu'il faut une prise de sang et que le rendez-vous ne peut être pris qu'autour du deuxième mois, pas avant. Je n'insiste pas et prends le rendez-vous à la date qu'elle me donne. Le 20 novembre, le jour où tout a basculé…
Le samedi suivant, je file au labo pour faire la fameuse prise de sang que m'a demandée la secrétaire. J'aurai les résultats dans la journée. Comme nous avons du monde à déjeuner, j'en oublie presque de regarder les résultats sur internet en fin de journée. Ceux-ci confirment que je suis bel et bien enceinte (joie), mais le taux est bizarrement élevé !
Une fois notre princesse couchée et le dîner avalé, je me prends à regarder sur internet ce que peuvent bien dire ces résultats… Je n'apprends rien de bien concret, mais mon instinct me dit que je suis enceinte de jumeaux. Mon époux rit : il me rappelle que j'avais la même crainte pour ma première grossesse.
J'attends impatiemment le rendez-vous avec ma gynéco, car cette grossesse m'épuise (je savais qu'une deuxième grossesse fatiguait, mais à ce point-là…). Quant aux nausées, n'en parlons pas (moi qui avais été presque tranquille pour ma petite chérie… je déguste) ! Les collègues ont pour quelques uns repéré ma fatigue, et les rondeurs sous mes vêtements, que j'essaye tant bien que mal de cacher.
Vendredi 20 novembre, 5h du matin. Les yeux grands ouverts, entre excitation et angoisse, je me retourne dans tous les sens. J'attends le réveil à 6h pour prendre une douche, nourrir ma fille et partir à mon rendez-vous chez le gynécologue.
Crédits photo (creative commons) : Kevin Moreira
8h, la porte de ma gynéco s'ouvre, après un petit quart d'heure d'attente qui s'est avéré interminable. Le moment tant attendu arrive. Elle pose la sonde sur mon ventre, pratique l'examen. Je ne suis pas sûre de ce que je vois. Elle est silencieuse, et finit par me demander ce que j'en pense. Je n'ose pas lui dire ce que je pense avoir vu. Je lui dis donc que je pense que ça s'annonce plutôt pas mal.
Et là, LA question que j'appréhendais : « Avez-vous des jumeaux dans votre famille ? » Tu me vois venir ? La réponse est évidemment oui.
Elle m'annonce que je suis bel et bien enceinte de non pas un, mais deux bébés… mais (oui, bien entendu, si je témoigne, c'est qu'il y a un « mais ») qu'elle n'arrive pas à prendre les mesures. Elle voit une tache, comme un kyste, au niveau des abdomens des deux bébés. Elle ne termine pas l'examen, ne me remplit pas la déclaration de grossesse, et m'envoie aux urgences de la maternité de niveau 3 à proximité de mon domicile. Elle me laisse son numéro de portable, et je pars, la tête haute, de son cabinet.
Une fois sortie, j'appelle mon mari, en pleurs. Il ne comprend pas tout. On se retrouve à la maison après qu'il a déposé notre fille chez la nourrice. Entre-temps, j'appelle ma mère (accessoirement, ma « patronne ») qui n'était pas au courant de ma grossesse : nous souhaitions lui annoncer la bonne nouvelle le lendemain. Elle a peur, évidemment, et elle me demande de la tenir au courant. Elle pourra aller chercher ma fille chez la nourrice si jamais il y a le moindre souci.
10h. Nous arrivons à l'hôpital. Je tente d'aller directement au service indiqué par ma gynéco, mais on me fait passer par la case « urgences ». Après trois heures d'attente, de pleurs, de stress autour de la naissance de jumeaux (tu te fais des tonnes de plans, tu as peur, tu t'imagines tout multiplier par deux, gérer la grande et les deux petits… bref, dans ces cas-là, il s'en passe, des choses, dans ta tête), l'interne en gynécologie nous reçoit.
On lui explique, elle nous fait une écho, nous demande de patienter et nous informe qu'elle souhaite que son chef nous voie. Nous attendons, encore… Et nous voyons enfin son chef, qui refait une brève écho. On ne nous explique rien. On est dans le flou total. C'est stressant, et vraiment frustrant. Le chef des urgences gynéco nous informe qu'il faut faire un examen plus poussé (sans blague !) et qu'il faut qu'il aille voir avec les médecins s'ils ont des disponibilités. Au pire, on reviendra lundi.
Je suis perdue, incapable de réfléchir. Mon mari pose LA question : « Qu'est-ce qu'on doit faire, alors ? Qu'est-ce qui va se passer ? » Mes souvenirs sont flous, mais il nous répond qu'une commission de médecins se réunit tous les jeudis pour statuer sur l'avenir des grossesses dites « à problèmes ». Il sort, je fonds en larmes. Il revient après de longues minutes avec une bonne nouvelle : nous avons rendez-vous à 16h20 avec une spécialiste.
Il est 15h, nous quittons l'hôpital, pour aller nous remplir l'estomac avant de revenir pour notre rendez-vous. Ma mère s'inquiète, m'envoie des sms. Elle me dit d'être patiente, qu'elle sera là pour nous aider, qu'elle va aller chercher mon bébé chez la nourrice et qu'elle la gardera avec elle le temps que nous rentrions.
J'ai envie de serrer ma fille fort dans mes bras. De sentir ses fins cheveux blonds. De sentir son cœur battre contre ma poitrine. De sentir ses petits bras me serrer le cou. Je suis vidée. Nous sommes vidés. Que va-t-il se passer ? Pourquoi nous a-t-il parlé de cette commission ? Je m'attends au pire. Mon mari relativise, essaie de positiver, comme toujours.
18h. L'interne nous rejoint. Nous entrons dans une grande salle sombre. Elle nous explique qu'elle va procéder à l'examen, qu'elle ne parlera pas. Une fois l'examen terminé, elle nous dira ce qu'elle a vu. L'attente… encore l'attente, depuis 8h ce matin… C'est long, trop long !
Et là… le verdict tombe. Je suis enceinte de jumeaux mono mono, j'ai une grossesse monochoriale-monoamiotique. Késako ? Les bébés partagent la même poche, et le même placenta. C'est une grossesse à risque, qui nécessite un accouchement par césarienne à 34 semaines.
Je suis enceinte de 13 semaines. Les cœurs battent, l'activité cérébrale est ok, MAIS les jumeaux ne vont pas bien. Ils souffrent tous les deux de malformations sévères au niveau des membres inférieurs, et leur paroi abdominale n'est pas fermée. En gros, la grossesse risque de ne pas se poursuivre jusqu'à son terme, voire de ne pas se poursuivre du tout.
Je reviens dans quelque temps pour te dire la décision difficile que nous avons prise.
—
Toi aussi, tu veux témoigner ? C'est par ici !