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Les deux accouchements hors norme : Une péri ratée et un bébé en siège dans un camion de pompiers !

Bonjour, je voudrais témoigner à propos de mes deux accouchements, le premier avec un bébé en tête, sous une péridurale qui a raté ; le deuxième avec un bébé en siège, sans péridurale. On manque peut-être d’informations au sujet des sièges sans péri, étant donné que c’est une situation doublement minoritaire. Si on ajoute le fait que moi, mère biologique, je suis en couple avec une autre femme et que donc nous sommes une famille homoparentale, on peut dire que je me trouve dans une situation triplement minoritaire. Mais je ne le fais pas exprès… Dans le cas de la naissance de mon second fils, tout s’est bien passé sur le plan somatique et psychologique pour mon bébé et moi : cet accouchement, j’en garde un très bon souvenir, et je ne regrette pas du tout mon choix ! Alors j’espère que cela pourra redonner espoir aux futures mères dont le bébé est en siège et qui voudraient en plus accoucher sans anesthésie. Pour moi, ça n’a pas été l’accouchement sans péridurale qui a été horrible, mais l’accouchement avec…

 

1e accouchement en tête avec péridurale ratée :

Mais avant, pour bien comprendre comment j’en suis arrivée à faire ce choix qui peut sembler radical d’accoucher sans péri d’un bébé en siège, je dois faire un retour sur mon 1e accouchement qui s’est fait avec un bébé bien positionné, en tête donc. A l’époque de ma 1e grossesse, il était exclu pour moi d’accoucher sans anesthésie. J’adoptais la vision classique de l’accouchement qu’on a dans nos sociétés occidentales et médicalisées, c’est-à-dire l’accouchement comme souffrance horrible et inutile. J’ai donc demandé une péridurale pour la naissance de mon fils aîné, qui s’est réalisée dans une maternité publique et gratuite de niveau 3, qui est un peu l’usine à bébés du groupement de communes dans lequel j’habite, en région parisienne.

Je suis arrivée très tôt à la maternité, avec des contractions sans douleur, mais comme le col de l’utérus s’est ouvert très vite, on ne m’a pas renvoyée chez moi, mais on m’a laissée un peu en salle de repos. Puis en salle de naissance, l’anesthésiste, qui commençait son premier jour ici avec du nouveau matériel, m’a branché la péri à 3-4 cm d’ouverture du col, à un moment où je commençais à trouver les contractions franchement désagréables, et j’ai bénéficié de l’anesthésie pendant une heure environ. Les contractions sont redevenues non douloureuses, puis plus rien. J’étais dans un état un peu planant, je me sentais un peu droguée, pourtant je regrettais de ne rien ressentir dans mon corps. Puis les douleurs sont revenues peu à peu sans que je comprenne pourquoi. Avec ma compagne, nous avons appuyé sur le bouton tant et plus, nous avons sonné pour demander pourquoi la péri ne marchait plus. Pendant six heures, la péridurale a dysfonctionné, et le personnel médical a essayé de faire refonctionner l’anesthésie, toutes les demi-heures environ, à notre demande, mais sans succès. Il y avait un certain désintérêt pour ma situation, car personne n’a vérifié le cathéter dans mon dos. La sage-femme venait juste en coup de vent vérifier que mon col s’ouvrait bien de 1 cm par heure, puis repartait pour d’autres aventures. Pour le reste, c’était le monitoring qui faisait le travail. Les contractions se sont naturellement intensifiées et cela commençait à devenir difficile à vivre. De plus, j’étais en quelque sorte enchaînée à cette machine et allongée sur le dos, ce qui est une très mauvaise position pour accoucher quand on est sans anesthésie. Je respirais et soufflais très fortement : je n’avais plus vraiment la tête aux cours d’accouchement, mais je suivais une respiration ample et longue, qui était instinctive et qui m’aidait énormément à gérer la douleur.

A un moment qui ressemblait à la phase de transition, dite de désespérance, j’ai fait une sorte de crise où j’ai exprimé ma colère de ne pas être prise en charge comme il faut, j’ai crié « Au secours ! » et dit des choses assez étranges telles que « Il faut appeler les pompiers ou la police ! », puis j’ai eu une envie très impérative de fuguer de cet hôpital… J’ai dépassé les dix centimètres qui marquent l’ouverture complète du col, et j’ai ressenti très nettement l’envie de pousser. J’ai donc passé plus d’une heure en phase de poussée, et je me suis mise à crier un peu au pic de chaque contraction. La douleur était beaucoup plus vive qu’avant, mais bizarrement je ressentais la poussée comme une sorte de libération corporelle. Dans leur infinie bonté, l’anesthésiste et sa cheffe sont venus me remettre la péridurale, ou plutôt m’ont posé une 2e péri, car la 1e s’était tout simplement débranchée au niveau de mon dos. Pour cela on m’a remise dans la position assise pendant quelques minutes, et j’ai senti que les contractions étaient beaucoup moins douloureuses et davantage gérables. J’ai failli dire que ça allait, que je n’avais qu’à rester dans cette position qui me convenait mieux et rester sans péri. Mais je n’ai pas osé, car la péri était mon projet de départ, j’avais peur de l’expulsion sans anesthésie, et de plus, j’avais embêté le monde pour avoir une péri, alors qu’est-ce que ça voulait dire si je disais non maintenant ? Irrémédiable erreur…

Avec la 2e péri, et on m’a mis la dose de cheval, très vite, je n’ai plus eu de douleur, cela a constitué un soulagement au début, puis je n’ai plus rien ressenti du tout. On a attendu trois heures comme cela avant que le bébé ne naisse, et avec ma compagne on a discuté pour passer le temps. On aurait presque dit que je prenais le thé en bonne compagnie… Puis la sage-femme est venue pour l’expulsion. Pendant une demi-heure, je me suis appliquée au fameux « respirez, bloquez, poussez ». J’avais de bons abdos, ayant fait pas mal de gym dans ma vie, mais pourtant ça ne marchait pas, alors que je poussais de toutes mes forces. En fait je poussais dans le vide, c’étaient de fausses poussées qui ne servaient à rien ou presque, vu que je ne sentais rien. La sage-femme me disait quand il y avait une contraction, elle me disait quand respirer et quand pousser, et je trouvais ça fou que ce soit elle qui ait à me le dire… Ma compagne, qui m’avait beaucoup soutenue moralement pendant la tempête des contractions, commençait se sentir défaillir, et j’ai dû la rassurer à mon tour…

Malgré tous mes efforts, le bébé n’est pas sorti dans les temps, et on lui a diagnostiqué une souffrance fœtale. Il fallait appeler le médecin, a décrété la sage-femme. J’étais déçue et inquiète. Deux médecins hommes sont arrivés et m’ont dit bonjour. Puis d’un coup, la salle de naissance s’est remplie, et dix personnes sont entrées sans même me saluer et sont restées plantées là à regarder, et j’avoue que question intimité, on aurait pu faire mieux… Puis un des médecins a procédé à l’extraction instrumentale avec des spatules. Cela m’a provoqué une déchirure périnéale. Mais je n’ai rien senti de tout cela. J’ai juste senti un petit chatouillement contre mes cuisses, puis on m’a montré le bébé, tout rouge, avec sa bonne petite bouille, ses yeux bleus et son front tout ridé. Il a éternué et pleuré. Ma compagne et moi nous nous sommes effondrées en larmes, l’émotion était trop forte. Je l’ai aimé immédiatement. On l’a posé sur mon ventre, très vite il a sauté vers mon sein gauche et s’est mis à téter. Il est né à 17h environ et ma première contraction avait commencé à 5h du matin, l’affaire avait donc duré douze heures. Peu après une énorme boule rouge immonde est sortie de mon corps, et une infirmière l’a mise dans une bassine : mon placenta. Mon premier fils a eu sa dose de doliprane avant même le lait à cause de sa naissance violente. Mais il n’a pas eu de sérieuses séquelles physiologiques, à part une énorme plagiocéphalie ou tête plate derrière le crâne, peut-être à cause des spatules, qui se voit encore alors qu’il a trois ans. Moi j’ai eu une complication, la déchirure vaginale qu’on m’a immédiatement après recousue.

 

Changement de point de vue sur la péridurale :

En repensant à l’expulsion finale de mon premier accouchement, j’ai réalisé que je m’étais sentie humiliée car incapable, incapable de pousser, incapable de donner naissance, incapable de nous épargner des actes obstétricaux et chirurgicaux, à mon premier fils et à moi, actes qui sont une violence pour nos corps. En fait j’avais été rendue incapable artificiellement à cause de l’anesthésie. Mais je n’étais pas incapable en soi… Et je me suis sentie mutilée par l’extraction brutale qui a provoqué la déchirure de mon anatomie intime. En me remémorant tout l’accouchement, sur le coup je n’étais pas contente de l’incompétence du personnel médical et de son absence d’intérêt face aux douleurs des parturientes. J’avais demandé une péri et je ne l’avais eu qu’à moitié, elle n’avait pas marché pendant le gros de l’épreuve : j’avais été arnaquée ! Les jours suivants dans ma chambre d’hôpital, je suis passée à autre chose. J’étais euphorique, avec mon beau bébé et mon expérience de la maternité qui me faisait entrer dans le clan des femmes accomplies…

Mais j’ai vite changé d’avis sur la péri. En y réfléchissant, les douleurs de l’accouchement avaient été intenses, certes, mais pas absolument insupportables non plus. Avec une formation adaptée en amont, un bon encadrement et des moyens de soulagement naturels, cela pouvait même être très supportable, pensais-je avec raison. Je n’avais pas mal vécu la tempête des contractions, ça avait même été entraînant, euphorisant, et surtout très fort en émotions. J’avais ressenti des hormones d’amour et de bonheur, la fameuse ocytocine, au plus fort de la douleur et c’était un anesthésiant naturel. Finalement, l’erreur de l’anesthésiste et l’échec de la péridurale, au lieu d’être une malchance devenait une chance ! Je ne regrettais pas d’avoir ressenti une bonne partie de mon accouchement ; mais désormais je regrettais d’avoir vécu l’expulsion sous anesthésie… Dans mon vécu de la maternité biologique, je me suis sentie incomplète. J’ai éprouvé un énorme manque, avec le sentiment d’un accouchement à moitié raté, et ma curiosité est restée insatisfaite. C’est un événement extraordinaire de la vie d’une femme qui m’a été volé…

Les mois suivants, j’ai lu énormément sur Internet, dans des livres, des témoignages de femmes qui ont accouché sans péri et qui ont aimé l’expérience. J’ai lu pas mal de bouquins documentaires sur la naissance naturelle, et ça a constitué une vraie passion intellectuelle pendant les deux ans et demi qui ont séparé la mise au monde de mes deux garçons. Plus j’y pensais, plus je rêvais d’une naissance au naturel, sans péri du début à la fin ! Je désirais sentir le passage de mon bébé par mes voies vaginales, car c’est un moment d’intimité important entre la mère et l’enfant, qui scelle à la fois leur fusion et leur séparation. J’avais bien vécu la grossesse, j’aimais allaiter, et je voulais bien vivre l’accouchement. J’avais un rapport très charnel à la maternité biologique, je me sentais très femme, très mère. Mais il me manquait l’expérience ultime, et je souhaitais la vivre au moins une fois dans ma vie, histoire de ne pas mourir idiote…

Je voulais un 2e enfant, et cette fois j’allais réussir mon accouchement, me disais-je, et ce serait donc sans anesthésie. Mon 1e accouchement m’avait rendue fâchée avec la péridurale, cette technique tant attendue par moi (et tout ça pour ça !), conçue pour nous « sauver », moi et les autres femmes de la malédiction qu’était notre corps… La norme de la péri qu’il y a dans notre société, c’était en réalité parfait pour faire le jeu de la domination masculine, via la représentation du corps féminin comme boulet, avec la maternité fardeau, dont la grossesse maladie et l’accouchement torture. Refuser la péri me semblait auparavant antiféministe (les hommes eux ne souffrent pas pour devenir pères, pourquoi les femmes devraient-elles souffrir pour devenir mères ?) ; refuser la péri me semblait désormais féministe (quel besoin d’une anesthésie puisque le corps de la femme est parfait et fait pour donner la vie ?). J’opérais donc un virage à 180 degrés. Bien sûr, cela n’est que ma vision personnelle, les autres femmes pensent bien ce qu’elles veulent ! J’avais aussi une mauvaise image des hôpitaux classiques en général et du corps médical en particulier, dont l’autorité s’était effondrée à mes yeux. En lisant, je m’apercevais que ce que j’avais vécu était courant dans les maternités. Prendre la péri c’était tout simplement rendre pathologique un accouchement normal ! Bref je rejoignais tout un courant de pensée que j’ignorais auparavant, qui prônait le refus des violences obstétricales, le refus de l’hyper-médicalisation de l’accouchement avec trop de césariennes et d’épisiotomies inutiles, trop d’anesthésies qui faisaient plus de mal que de bien au vu des effets iatrogènes (des interventions médicales en cascade qu’elles provoquent). Et l’accouchement naturel dans de bonnes conditions devenait une évidence, c’est-à-dire avec un personnel soignant bienveillant, un projet de naissance éclairé, des lieux spécifiques (maisons de naissance ou maternités adaptées), et des méthodes particulières (choix des position, travail sur la respiration, méthodes douces comme massages, bains chauds ect). Surtout, l’accent était mis sur la dédramatisation de l’accouchement, grâce à un déconditionnement psychologique qui vise à diminuer la douleur en neutralisant la peur. De pour, j’étais devenue assez contre la technique de la péri (mais contre pour moi seulement…), tout en respectant le droit des femmes à bénéficier d’une péridurale et leur choix souverain par rapport à leur corps.

 

2e accouchement en siège sans péridurale :

Au départ donc, je n’avais pas d’idéologie pré-conçue, pas plus écolo que bobo, mais j’étais juste une femme qui avait envie d’accoucher… Les idées ne sont venues qu’après. Et pour réussir une naissance naturelle, il faut en avoir envie. Moi j’en avais envie, et même plus, j’en avais besoin, un besoin physiologique, et pas seulement psychologique. Tout ça se ressent dans le ventre, dans les tripes ! Je n’avais même plus peur de l’inconnu, c’est-à-dire de l’expulsion. Enceinte de mon 2e enfant, passé le cap des trois premiers mois, je me suis mise à rechercher activement des contacts de sage-femmes en qui je pourrais avoir confiance, qui pratiquaient l’accouchement assisté à domicile ou en plateau technique, car j’hésitais entre l’une et l’autre option. Il était hors de question que quiconque me touche pendant l’épreuve sans me connaître à l’avance et sans connaître mon projet de naissance. J’ai découvert avec dépit à quel point le milieu de l’accouchement naturel et alternatif est réduit en France, et encore, j’avais de la chance car j’étais en région parisienne, là où il y avait le plus de possibilités. J’avais bien galéré pour réaliser la conception du bébé, étant en couple de femmes, alors je pouvais galérer encore un peu pour organiser l’accouchement… La seule maison de naissance de l’Ile-de-France m’a refusée car j’habitais trop loin. Je me suis rapprochée du Groupe Naissance à Paris, et une des sage-femmes avait son cabinet dans la ville à côté de chez moi. J’ai pris rendez-vous avec elle, mais je craignais qu’elle soit débordée par trop de demandes et ne puisse pas répondre à ma requête. L’entretien s’est bien passé et, par chance, elle pouvait me prendre comme patiente. Nous avons convenu que ce serait pour un AAD (Accouchement assisté à domicile) ou un plateau technique avec elle dans une maternité parisienne en cas de contre-indication médicale à l’AAD. La sage-femme m’a rassurée au sujet de l’AAD, qui est exceptionnel en France mais plus courant dans certains pays d’Europe du Nord et de l’Ouest, et qu’on croit encore risqué, alors qu’il n’en est rien, les statistiques ne révélant aucune mortalité infantile et maternelle supérieure à la naissance à l’hôpital, mais mettant à jour des violences obstétricales bien moindres. J’ai bénéficié de l’accompagnement global et j’ai réalisé le suivi de ma grossesse avec cette personne qui est très humaine, sérieuse et compréhensive.

Ma grossesse s’est bien déroulée, mais je craignais une contre-indication médicale à l’AAD. J’ai eu un peu de diabète gestationnel, comme pour ma 1e grossesse, mais rien de grave. Puis à l’échographie du 3e trimestre, le bébé était en siège, tête en haut et jambes en bas, en tailleur, en Bouddha. C’était considéré comme un siège complet. Cela m’a assez contrariée, mais tout le monde m’a assuré que le bébé avait encore le temps de se retourner tête en bas, parfois cela se produisait au tout dernier moment… A 37 semaines d’aménorrhée, j’ai tenté une VME (Version par manœuvre externe) à l’hôpital public à côté de chez moi (mais un autre que celui où était né mon aîné), où j’étais inscrite en cas de transfert suite à un éventuel problème au cours de l’AAD. L’obstétricien a presque retourné le bébé, mais celui-ci s’est remis immédiatement après dans sa position initiale. Ça n’avait pas été très douloureux, mais pour le moins inefficace… Une 2e VME a été tentée une semaine plus tard sans succès. Il y avait d’autres méthodes, plus douces, que je n’avais pas encore explorées : de l’acupuncture, de l’ostéopathie et du yoga, notamment certaines positions comme le pont indien. J’ai tenté cela, sans que le bébé ne se retourne. J’aurais pu faire du vaudou aussi bien, ça n’aurait rien changé… A 9 mois de grossesse, je me sentais très pleine et c’était encore pire avec un bébé en siège dont on sent tout le temps la tête grosse et dure en haut. Celle-ci naviguait en général soit à droite du nombril, soit en oblique, soit en haut sous l’estomac, en fonction de mes propres positions.

Une naissance en siège ne correspondait pas à ma représentation de l’accouchement, que je visualisais uniquement en tête. Mais on ne le choisit pas… J’étais assez déprimée par cette éventualité, puis j’ai commencé à me faire une raison et à me dire que le bébé n’avait décidément pas envie de se retourner, et qu’il fallait envisager sérieusement l’accouchement par le siège. J’ai pris un rendez-vous avec ma sage-femme pour en parler. Elle m’a rassurée et m’a dit qu’un bébé en siège n’était pas une situation anormale, et qu’il était tout à fait possible d’accoucher par voie basse et sans péridurale. Le bébé naîtrait soit en présentant les fesses en premier avec les jambes relevées contre le torse, soit en se présentant tout droit par les pieds : elle m’a montré sur un mannequin les deux cas de figure. J’avais juste un risque un peu plus élevé de césarienne, soit en cours de travail si cette phase s’éternisait, soit en urgence si l’expulsion se passait mal. Pour moi la césarienne représentait le mal absolu en matière d’accouchement : être éventrée m’effrayait littéralement, être clouée au lit durant une semaine aussi. Surtout qu’avec mon expérience foireuse de la péridurale je redoutais une panne d’anesthésie sous césarienne, ce qui est autrement plus terrible… Mais il faudrait se résoudre à la césa en cas de risque majeur. Cela ne m’empêchait pas de vouloir à tout prix essayer de sauver ce qu’il restait de mon projet, la voie basse sans péri bien sûr. Je pouvais faire une croix sur l’AAD, car un bébé en siège était une contre-indication absolue. J’ai donc dû m’inscrire à l’arrachée dans la clinique parisienne, privée payante et chère, dans laquelle ma sage-femme travaillait.

Ce dernier mois a été épuisant, physiquement et psychologiquement, ponctué de nombreuses visites médicales supplémentaires à cause du siège, tout tournant autour de cette incertitude : vais-je accoucher en siège ou non, par voie basse ou non, vais-je avoir l’accouchement dont je rêve ou celui dont je cauchemarde ? J’avais fait deux séances d’acupuncture avec ma sage-femme pour préparer la naissance, et mon col s’était déjà ouvert à 1,5 cm deux semaines avant le terme. Le jour de la 3e séance prévue, 9 jours avant, j’ai trouvé plus sage de décommander ma sage-femme, car je ressentais de petites contractions, pas douloureuses et très espacées (toutes les demi-heures environ). Je n’étais pas du tout stressée, car je ne savais pas s’il s’agissait de fausses contractions de Braxton-Hicks ou bien des vraies contractions du tout début de travail. Ces contractions ont commencé le matin et ont duré toute la journée sans progresser véritablement. J’ai appelé ma sage-femme qui m’a dit de faire ma vie comme d’habitude et c’est ce que j’ai fait. J’avais conseillé à ma compagne d’aller travailler. Le soir, elle est revenue en m’annonçant qu’elle était malade, sans doute était-ce la gastro-entérite ou alors la covid 19. J’ai commencé à paniquer, en lui disant que ce n’était vraiment pas le moment de me refiler des maladies, car j’étais peut-être en train d’accoucher. On s’est un peu disputées, puis elle a accepté d’aller dormir chez ses parents, qui habitent dans la même ville, et je l’ai assurée que je l’appellerais pour l’accouchement. Mon père était venu passer quelques temps avec moi pour la naissance, je n’étais donc pas seule à domicile. Mais j’avais d’énormes hémorroïdes, je sortais moi-même d’un rhume carabiné, et j’avais mal dormi la nuit dernière, alors je n’étais vraiment pas en forme.

Durant toute la nuit, les contractions ont continué en s’accentuant et en se rapprochant (toutes les 20 minutes en début de nuit, puis toutes les 15 minutes, puis toutes les 10 minutes en fin de nuit). Là c’était sûr et certain, j’étais en train d’accoucher ! Pendant 9 heures, d’environ 21h à environ 6h du matin, j’ai géré mes contractions toute seule, j’allais voir mon père de temps en temps qui regardait la télé toute la nuit. Cela ne ressemblait en rien à la tempête du 1e accouchement : là les contractions restaient très raisonnablement espacées, même si cette nuit, contrairement au jour précédent, elles étaient devenues douloureuses. J’étais fatiguée et un peu stressée, mais normale, si ce n’étaient ces violentes crampes qui me terrassaient pendant une minute tous les quarts d’heure, et qui me donnaient l’impression qu’on me tordait les boyaux de l’intérieur. J’essayais de me reposer, mais je ne pouvais pas m’endormir avec ces contractions intempestives, alors je restais juste assise dans mon lit, fixant l’horloge au mur. Quand une contraction venait, je me jetais à plat ventre sur la couette et je soufflais bien fort par la bouche dans le tissu le temps que ça passe. Puis je me rasseyais dans le lit. A plat ventre, c’était la position la moins douloureuse pour moi, car assise était encore trop dur. Ce petit cinéma a duré toute la nuit ! J’étais persuadée d’être dans les premières phases de l’accouchement, qui s’éternisait en longueur sans doute à cause du siège, pensais-je, car les contractions étaient trop espacées et encore trop irrégulières pour signifier à mon sens l’entrée dans la phase active du travail. Je n’osais pas réveiller tout le monde en pleine nuit pour ça.

A 6 heures du matin, n’y tenant plus, j’ai appelé ma sage-femme en lui décrivant mes symptômes et en lui demandant son conseil sur l’heure de mon départ à la maternité. Elle m’a conseillé de prendre un bain et d’attendre que les contractions soient régulières et espacées de dix minutes. Ce sont les recommandations habituelles pour un 2e accouchement, sachant qu’un 2e est plus rapide et plus facile qu’un 1e. Ce n’était pas encore tout à fait bon, dès fois ça faisait 10 minutes, mais dès fois 20. J’ai pris un bain, mais cela n’a pas diminué la douleur de mes contractions. J’ai rangé mes dernières affaires dans ma valise, puis ma compagne que j’avais précédemment appelée est arrivée. Je m’attendais à vivre encore des heures et des heures d’accouchement avec des contractions très douloureuses, et j’étais assez anxieuse car je ne me sentais pas d’attaque, surtout pour un accouchement sans péri : j’avais l’impression d’être déjà épuisée en début d’accouchement, alors à la fin ! Pour le déplacement, nous avions un vrai problème : moi je conduisais mais il était bien sûr exclu que je prenne le volant dans un tel état ; ma compagne ne savait pas conduire. Mon père devait garder mon fils aîné à la maison. Bref, on a appelé le 15 pour qu’ensuite ils nous envoient une ambulance qui nous conduirait à la maternité dans Paris, à environ une demi-heure de trajet. La standardiste du 15, comme je le redoutais, a commencé à dire qu’ils n’allaient pas forcément m’amener à la clinique où je m’étais inscrite, mais au plus près, selon l’urgence. Et là, qui sait ce qu’ils auraient fait de moi, césarienne, péridurale, épisiotomie ? Et masque obligatoire en plus ! En attendant, elle m’envoyait les pompiers et on verrait avec eux. Les pompiers sont arrivés, 5 grands mecs ont débarqué dans notre salon, et je me suis trouvée assez intimidée avec mon gros ventre. Ils ont passé beaucoup de temps à chronométrer mes contractions, toutes les 5 minutes à présent, et on a perdu une demi-heure comme ça. Ils ont appelé ma sage-femme qui a rappliqué très vite, aux alentours de 9h du matin. Elle m’a examinée le col et m’a dit que j’étais ouverte à 9 cm. Grosse surprise ! J’étais presque à dilatation complète et je ne m’y attendais pas du tout… En même temps qu’elle m’examinait, la poche des eaux s’est rompue et l’eau s’est écoulée partout autour, mais ce n’était pas douloureux. C’était plutôt une bonne nouvelle, car mes souffrances seraient bientôt finies. Mais aussi une mauvaise, car nous étions vraiment très pressés…

La sage-femme et moi, nous avons supplié les pompiers de nous amener dans leur camion à la clinique où j’étais inscrite et ils ont accepté. Par contre, ils ont pris les choses en main et ont imposé tout le reste. Ils ont refusé que mon amie m’accompagne et n’ont accepté que la sage-femme au cas où j’accouche dans leur véhicule. Ils m’ont embarquée à moitié nue sur leur brancard, moi complètement dépassée par les événements, allongée sur le dos et attachée par des sangles, ce qui est à peu près la pire des choses à faire à une femme en train d’accoucher… On peut organiser un accouchement pendant 9 mois, et tout peut déraper en quelques minutes… Les pompiers foncent et font le trajet en 20 minutes sur le périphérique, mais ces 20 minutes sont les plus longues de ma vie. Les contractions sont archi douloureuses, à ce stade avancé et allongée sur le dos, alors je me mets à crier. J’ai le masque sous le menton, mais personne n’a le sadisme de me remettre le masque sur la bouche et le nez pour m’empêcher de respirer. Mon visage n’est plus qu’une grimace et je me sens très gênée devant les pompiers. Puis j’éprouve l’envie de pousser pendant le trajet, et je dis : « ça pousse ! ». La sage-femme me commande de ne pas pousser, mais c’est plus facile à dire qu’à faire, car c’est une envie irrépressible… Je pense « C’est mon corps qui pousse, c’est pas moi ! » Puis très vite, quelques minutes après, je ressens une sensation extraordinaire, jamais vécue encore de ma vie. Je sens quelque chose descendre en moi. Je dis : « Il sort ! » Et c’est son pied, le bébé se présente donc par les pieds. La sage-femme me demande si je veux le regarder, je dis non, mais je le regarde quand même. Et je vois le pied et la jambe de mon bébé, sortis de mon vagin, qui dépassent… Je commence vraiment à paniquer ! Je demande où est l’autre jambe ; puis l’autre jambe descend. On en est là quand nous arrivons à la clinique.

Le personnel a été prévenu par téléphone et nous attend dehors de pied ferme. Là, la sage-femme dit aux pompiers de me retourner à quatre pattes sur leur brancard, car c’est la position que j’ai prévue pour expulser, la plus animale, la moins douloureuse et la plus pratique pour tout le monde. Les pompiers me retournent et descendent leur brancard avec moi dessus, et pendant ce temps, le bébé continue sa descente à lui. J’ai l’impression de vivre une scène surréaliste… Je suis tout apeurée ! On me débarque dans la clinique et j’atterris dans un couloir. Je pose des questions en hurlant, plus de peur que de mal : « Est-ce qu’il va bien ? » « Il en est où ? » et cætera. Les contractions sont super fortes dans mon ventre, mais la sensation du corps du bébé ouvrant mon col et mon vagin n’est pas douloureuse du tout, aussi étrange que ça puisse paraître… La sage-femme va chercher un bras en vadrouille dans l’utérus par un crochet de son doigt. Le bébé est sorti tout droit, mais dans l’autre sens que d’habitude, il ne manque plus que la tête. La sage-femme m’informe que la tête est mal positionnée ; elle va être obligée de la faire tourner pour que le menton du petit ne s’accroche pas à mon pubis, ce qui pourrait le décapiter. Je sens ses mains farfouiller à l’intérieur de mon vagin, mais elle ne me fait pas mal. Je n’ai plus de contractions, alors je m’arrête de pousser. La sage-femme et les pompiers m’intiment l’ordre de pousser. Je mets trois secondes à comprendre qu’il faut obéir. Je mime une sorte de fausse poussée et la tête sort. Je sens les parois de mon vagin s’ouvrir au maximum, et je sens ma bouche s’ouvrir aussi au maximum par un phénomène réflexe, et je pousse un très long cri, mais je n’ai pas mal, c’est comme une fleur qui s’ouvre…

Enfin le bébé naît, il glisse hors de mon ventre et de mon vagin comme d’un toboggan, tout mouillé et lubrifié par le liquide amniotique. Les pompiers sont toujours agglutinés à côté de la sage-femme autour de mon brancard. On me dit qu’il va bien. Je tourne la tête, je le vois pleurer un peu, puis on me l’enlève tout de suite. Un pompier me dit qu’il était un peu bleu et ça ne me plaît pas du tout. Je m’assois sur le brancard, au milieu de mon cordon ombilical coupé que je remarque à peine et d’une petite flaque de sang. Je verse quelques larmes d’émotion, mais je suis seule, sans ma compagne cette fois, et c’est triste. Pendant ce temps, on fait une aspiration au bébé pour qu’il respire mieux. Quand on me le rend, il va vraiment bien, le pédiatre confirme qu’il est en bonne santé. Il a les yeux fermés, il dort, il a encore des taches de sang sur le visage et le corps. Il est tout blond vénitien et on dirait un petit écureuil. Je m’écrie : « Oh mais il est tout petit ! » car la petitesse mignonne de son visage me frappe, en comparaison de mon grand garçon de deux ans et demi. Je l’aime à la folie ! On me transfère dans la salle de naissance, après la naissance… Là on lui fait sa toilette, tandis que je pousse un tout petit gémissement pour expulser le placenta. Ce n’est rien du tout comme douleur, mais j’en ai marre, maintenant que l’affaire est terminée. Puis on fait ma toilette intime et je n’ai pas l’ombre d’une déchirure au périnée. Le bébé est mis dans mes bras et sur mon sein. Ma compagne qui nous a suivis en uber, se joint à nous. Nous sommes si heureuses d’être à nouveau mamans ! Tout est bien qui finit bien !

Cette naissance en siège (avec pieds en premier et tête en dernier) aurait présenté des risques en l’absence d’une personne soignante suffisamment formée. Par chance, ma sage-femme a pu mener cette naissance à bien et effectuer au bon moment plusieurs manœuvres manuelles qui ont permises au bébé de naître sans séquelles lors de l’expulsion. La césarienne était non nécessaire dans ce cas et toute forme d’interventionnisme par instrument (extraction instrumentale, épisiotomie) aussi inutile que nocive. Seule la compétence médicale était nécessaire ! J’ai appris que le bébé était en siège car il s’était fait une bretelle à l’épaule avec son cordon ombilical qui l’empêchait de se retourner, plus deux tours de cou lâches. De mon côté, l’expulsion en elle-même a été sans douleur, seules les contractions ont été douloureuses jusqu’au bout. Ça ne fait a priori pas plus mal d’accoucher avec un bébé qui se présente par les pieds plutôt que par la tête, car les mêmes parties du corps du bébé passent par le vagin, mais dans l’ordre inverse… Cela a été une délivrance pas trop éprouvante dans l’ensemble. Les jours suivants, j’ai goûté le bonheur de me sentir entière, sans aucune cicatrice, à la différence de mon 1e accouchement. Cette naissance m’a comblée, j’ai bénéficié des sensations authentiques du passage du bébé. J’ai aimé accoucher, et avant, je ne pensais pas que c’était possible d’aimer accoucher… Le seul point noir a été la nécessité de l’intervention des pompiers, qui a perturbé mon projet d’accouchement, mais envers qui je suis reconnaissante de m’avoir amenée à bon port. Toutes les choses ne se passent pas toujours comme prévu, mais ça s’est bien terminé pour mon bébé et moi… Mon 2e accouchement a rattrapé mon 1! Mais j’ai quand même des regrets pour cette 1e naissance qu’on m’a volée. Et puis, il n’y aura pas de 3e enfant, donc je ne saurai jamais ce qu’est un accouchement en tête sans péri.

 

Conclusion :

Les accouchements par le siège sont encore considérés aujourd’hui comme des accouchements risqués par nature, ils sont d’ailleurs qualifiés de position dystocique. Or pour ma sage-femme et moi, ce sont juste des accouchements normaux, mais un peu différents. Il y a certes un surrisque par rapport aux accouchements en tête de devoir intervenir, mais cela peut se faire manuellement et pas forcément par une opération. Une césarienne n’est pas du tout à programmer d’office, car les cas où ces interventions sont absolument nécessaires sont minoritaires, même pour les sièges, d’après ma sage-femme. Certains médecins recommandent la césarienne à cause d’un manque de formation au sujet des naissances en siège qui sont rares (3 à 4 % des accouchements, et qui en plus présentent des différences selon le type de siège). Mais ça évolue. Sans aller dans les réseaux d’accouchement alternatif, de plus en plus d’obstétriciens et de sage-femmes sont plus souples sur ce sujet et préconisent de tenter la voie basse pour cette présentation dite podalique. Au sujet de la péri, certains spécialistes conseillent voire imposent la péridurale pour ce type de position, mais cela non plus n’est pas indispensable. Mon expérience n’est pas à généraliser bien sûr, car toutes les femmes sont différentes. Mais pour moi la nature et la connaissance sont supérieures à la technique et à l’ignorance… Alors vous les femmes dont le bébé est en siège, ne vous laissez pas imposer d’office des césariennes et des péridurales si ce sont des choses que vous ne voulez pas ! Laissez votre corps et celui de votre bébé faire son travail et gardez confiance !