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La peur de donner naissance à une victime ou à un monstre

J'ai toujours voulu avoir un enfant. Je suis l'ainée (et de loin) des cousins/cousines et j'ai toujours adoré m'occuper d'eux depuis qu'ils sont bébés, jusqu'à leur adolescence. Du coup, c'était une évidence pour moi : un jour, je serai maman et ça sera chouette ! Je viens tout juste de me marier et avec mon mari tout neuf, nous avons commencé les essais bébé avec beaucoup d'amour et de tendresse.

Oui mais. Après chacun de nos essais, une partie de moi espère ardemment que je ne sois pas enceinte. Des questions – légitimes pour une future maman – de type « serai-je une bonne mère ? Est-ce que je saurai lui apprendre nos valeurs ? Est-ce qu'il sera heureux ? Est-ce qu'on est vraiment prêts ? » tournoient, mais une revient sans cesse : sera-t-il une victime ou un monstre ?

Cette question a bien sûr une origine. Il y a plusieurs années, j'ai été malheureusement violé par mon copain de l'époque. Si je vais très bien aujourd'hui, ma peur est double pour mon futur enfant, parce que…

Playmobil peur du monstre ombre chinoise

Crédits photo (creative commons) : Yael P

Il pourrait être une victime comme moi…

Quand j'étais enfant, j'étais très timide et facilement impressionnable. Mon père m'a appris à me défendre de mille et une façons, m'a donné des armes, comme la confiance en soi, pour arpenter plus sereinement la vie. Mes parents m'ont fait mille et une recommandations, m'ont dit et répété que j'étais toujours libre de dire non, que mon corps m'appartenait, et que je devais toujours dire clairement ce que je voulais ou pas. Ils ont été là, à l'écoute, sans juger, quels que soient les soucis ou les bonheurs. Ils ont tout fait et plus, ils ne pouvaient pas faire mieux.

Pourtant, ça n'a pas suffit.

Alors comment pourrais-je mieux aider mon enfant qu'ils ne l'ont fait pour moi ? Comment pourrais-je le protéger si j'ai été incapable de le faire pour moi-même ?

C'est normal d'avoir peur pour son enfant, c'est normal de ne pas vouloir qu'il lui arrive du mal. Il faut bien les lâcher un jour… et si justement ce jour, il lui arrive quelque chose, j'imagine que mon enfant me dira ce que moi-même j'ai dit à mes parents : « Oui, c'est arrivé. Non, ce n'est pas de votre faute. J'ai besoin de vous maintenant. Je vais me battre et continué de vivre. Ne vous en faîtes pas, je vais aller bien. » Et comme mes parents, je culpabiliserai sans doute et l'accompagnerai le mieux possible quel que soit la violence qu'il a subit.

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Ce qui m'effraie n'est pas de devoir hypothétiquement gérer ma culpabilité, mais de voir mon enfant en proie à la sienne, de le voir souffrir parce qu'il n'a pas su se protéger, et de le voir douter de ses compétences… Quel que soit la violence subie, la confiance en soi est éclatée, morcelée… alors que la victime n'est en réalité responsable de rien ! J'ai peur qu'il vive ce que j'ai vécu.

… ou il pourrait être un monstre comme lui

Ce copain de l'époque était un garçon incroyablement charmant. Mes parents l'adoraient, c'était un « garçon bien ». En société, il se comportait très bien avec moi, faisait rire mes amis, était serviable et souriant. Bref, il était apprécié et avait tout pour lui.

Il n'a jamais reconnu m'avoir violé. Pas parce qu'il ne voulait pas l'admettre, mais parce qu'il était intimement persuadé que, jamais, au grand jamais, il n'aurait pu commettre cet acte inhumain. Jamais il n'a pensé que son comportement était mal, jamais il a pensé à me faire du mal. Moi-même, j'ai mis deux ans pour me rendre compte de ce qu'il m'arrivait.

Comment est-ce possible ? Comment peut-on faire autant de mal si longtemps à quelqu'un sans s'en apercevoir ?

Parce qu'il ne m'a pas écouté, parce que je n'ai pas su m'exprimer clairement, parce que, parce que… Il n'y a pas d'excuse ou de justification à donner. Ce garçon insoupçonnable a commis un crime sans s'en rendre compte, persuadé d'être dans son bon droit. C'est ce qu'on appelle la culture du viol. Il est difficile de résumer les concepts qui sont derrière ce titre, et je n'ai pas envie de l'expliquer ici, parce que d'autres l'ont fait mieux que je ne pourrais le faire. Tu trouveras de nombreux articles sur internet, si tu souhaites en savoir plus (en voici deux par exemple : ici et ).

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Ce que je veux dire, c'est qu'actuellement, c'est sexy d'insister quand elle dit non (parce que « c'est pas un vrai non »), d'être un brin macho, ou de se « laisser » convaincre. Bref, tous ces messages sur la sexualité dont nous sommes bombardés quotidiennement. Et si ce garçon, bien sous tous les angles, avec des parents instituteurs aussi présents que les miens, a pu aller trop loin, mon enfant risque aussi de faire du mal. Il pourrait être un bourreau.

Serai-je plus forte que les messages de la société et de la mode ? Réussirai-je à lui apprendre les limites de ce qui est bien et mal ? Ses parents à lui ont échoué en tout cas, je ne vois pas pourquoi je réussirai…

J'ai peur

Et donc, j'ai peur… Peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas réussir à le protéger, de le sur-protéger, de lui mettre une pression énorme, d'avoir peur de lui, de ne pas être là, d'être trop là…

La liste serait trop longue pour énumérer toutes mes liées à ce traumatisme. Mon mari me soutint évidemment, tout comme ma famille et mes amis. Nous avons de longues conversations, nous essayons de nous préparer, j'essaie de calmer mes angoisses.

Nous ferons le mieux que nous puissions, sans aucun doute, et j'espère vraiment que ça suffira à faire en sorte qu'il ne soit ni une victime ni un monstre.