Louna et Die Franzoesin sont mamans depuis plus d'un an, respectivement d'une fille et d'un garçon. Est-ce que ça change quelque chose dans leur éducation, leur rapport aux gens ? Aujourd'hui, elles proposent de te livrer leur ressenti…
Crédits photo (creative commons) : Ben_Kerckx
Quand apparaissent les stéréotypes liés au genre ?
Réponse unanime : Avant même la naissance ! C'est fou comme tout le monde est curieux de connaître le sexe…
Die Franzoesin : Lorsque j'étais enceinte de Pierre, nous avions décidé avec le papa de ne dévoiler à personne le sexe de notre bébé. Je ne supportais plus les questions récurrentes sur le sujet : « Aloooors, c'est une fille ou un garçon ? » Ça m'était vraiment égal, et je ne comprenais pas cet intérêt démesuré.
Puisque personne ne devait savoir, je me suis dit que je n'achèterais que des habits « mixtes ». Mais les premiers pyjamas sont déjà, dans leur très grande majorité, dédiés à un sexe ! Par leur couleur (rose ou bleue), leurs motifs (voitures ou fleurs), etc.
Je comprends l'intérêt de s'aider des habits pour indiquer le sexe d'un bébé sans avoir à le préciser. Ce qui m'a vraiment dérangée, ce sont les motifs. J'avais la sensation d'y voir une injonction pour mon fils : si je m'y fiais, en tant que garçon, il devait forcément aimer les véhicules et le football !
Louna : Les choses ont été un peu différentes pour moi : j'avais une nette préférence pour une petite fille. Le fait de garder secret le sexe de mon bébé jusqu'à sa naissance m'a cependant permis de réaliser que ça avait finalement très peu d'importance.
Du coup, j'étais d'autant plus étonnée des remarques persistantes de mon entourage pour connaître son sexe. J'ai aussi été désagréablement surprise par plusieurs personnes qui projetaient leurs envies : « Vous ne savez pas ? Alors croisons les doigts pour que ce soit un garçon ! »
Nous avons également opté pour des petits habits mixtes pour la naissance, et une déco neutre pour la chambre : je suis vraiment contente de ces choix, car en quelques mois, les cadeaux ont tous tourné au rose, aux paillettes et aux fleurs !
Encore maintenant, je n'hésite jamais à piocher indifféremment dans les rayons fille ET garçon lorsque j'habille ma fille. Un jour, une vendeuse étonnée m'a demandé si j'avais des jumeaux ! J'ai bien ri devant son air ahuri lorsque je lui ai répondu que oui, j'osais habiller ma fille en bleu.
Est-ce que ces différences se retrouvent ailleurs ?
L : Pour l'instant, je n'ai pas vu de différences dans les activités proposées dans le cadre de la crèche : garçons comme filles jouent avec les petits poupons, portent de grandes robes pour se déguiser, ou grimpent gaiement sur les petites voitures en klaxonnant à tue-tête.
Par contre, il est clair que dès la fin de la première année, les jouets deviennent stéréotypés. Nous avons veillé à proposer des petites voitures à ChérieChou, mais les cadeaux reçus pour son anniversaire parlent d'eux-mêmes : une petite poussette rose et fleurie, deux poupées, une robe rose, des barrettes et autres bandeaux… Heureusement que nous rééquilibrons les choses en lui proposant des légos ou des livres, par exemple.
DF : Au tout début, la question des jouets ne s'est pas vraiment posée. Les mobiles, doudous et hochets sont clairement des jouets neutres.
Un peu plus tard, cependant, quand Pierre a eu 1 an, l'invasion des petites voitures a commencé. Il joue très volontiers avec, c'est vrai. Mais je ne suis pas emballée par ce stéréotype, qui va, de surcroît, à l'encontre de toutes mes convictions écologiques.
Moi, j'aurais bien aimé que pour Noël, il reçoive une dînette ou une cuisine. Je suis sûre qu'il adorerait y jouer, car il aime tellement m'imiter ! J'ai même pensé à un poupon. Mais lorsque j'ai abordé le sujet, je n'ai senti aucun enthousiasme de la part de notre famille.
Avez-vous déjà eu des remarques stéréotypées sur le comportement de votre enfant ?
L : Oui, et très tôt ! Dès qu'elle a commencé à se déplacer, nous y avons eu droit : « Mais quel garçon manqué, une vraie aventurière ! »
Ou alors, parce qu'on n'est pas à une contradiction près, devant l'intérêt marqué de ChérieChou pour sa première paire de chaussures : « Voilà une vraie petite fille, qui va collectionner les chaussures quand elle sera grande ! »
En soit, ça ne me dérange pas qu'elle grandisse en étant ce qu'on appelle abusivement une « vraie » fille – étant donné ma collection de ballerines, je ne lui jetterai pas la pierre. Mais pourquoi vouloir l'enfermer si tôt dans un stéréotype lié à son sexe, alors que je suis sûre que les petits garçons sont tout autant fascinés par l'arrivée de cet objet à leurs pieds ? Pourquoi cantonner le caractère aventureux et l'énergie dont elle fait preuve au sexe masculin ?
La plupart du temps, je reste coite devant ces remarques, mais je redoute que ces raccourcis ne s'impriment insidieusement dans l'esprit de ma fille.
DF : Les premiers mois, je ne crois pas avoir entendu de remarques. Ou bien – c'est possible – je ne les ai pas relevées.
Les plus graves à mes yeux sont apparues à mesure que Pierre grandissait et affirmait sa personnalité, vers 1 an. J'ai un enfant rêveur, calme, délicat et très sensible : cherche l'erreur. J'ai déjà failli m'étouffer avec mon café à entendre : « Un garçon ne se laisse pas impressionner comme ça ! » ou « Un garçon ne pleure pas ! »
Pour moi, ça, c'est insupportable. Parce que je suis fière de sa personnalité, vraiment. Et que je ne considérerai jamais ses émotions comme des défauts à gommer. Lorsqu'il a peur, je le rassure, et lorsqu'il pleure, je le console. Et ça ne risque pas de changer, garçon ou pas.
Quelles solutions avez-vous privilégiées pour une éducation moins stéréotypée ?
DF : Concernant les habits, je privilégie presque exclusivement les motifs neutres et animaliers. Je tolère aussi les motifs de type avions, fusées et trains pour ce qu'ils représentent : le voyage, l'aventure… En revanche, je reste plutôt opposée aux voitures et aux tracteurs (non mais sincèrement, tu ne trouves pas ça hyper moche, en plus, un tracteur ?). Je n'en fais cependant pas une obsession : si c'est un cadeau ou en cas de grosse promo, je prends…
Concernant les jouets, je n'ai pas essayé de convaincre mes proches, et j'ai finalement renoncé à notre dînette et son poupon. Dans ce cas, je préfère ne pas aller plus vite que la société qui nous entoure. Je ne voudrais pas non plus que mon fils me le reproche un jour. Mon mari en veut finalement toujours un peu à sa mère de lui avoir fait faire de la danse quand il était petit… Je me console en me disant qu'il joue avec tout ça à la crèche.
Concernant les émotions, en revanche, je ne laisse rien passer. Si la remarque vient d'une personne éloignée, je corrige en m'adressant à Pierre directement. Si elle vient d'une personne proche, j'en discute calmement avec elle, et jusqu'ici, chacune a reconnu son erreur. Dans ces cas-là, d'ailleurs, je me rends compte à quel point elles n'ont tout simplement pas réfléchi. Elles me disent : « C'est sorti tout seul. » Je suis fière si je peux aider certaines personnes à évoluer.
L : J'essaie aussi de choisir mes combats : on ne peut pas sans arrêt reprendre les gens autour de nous, et corriger la boulangère ou la voisine à la moindre remarque.
Je propose des activités variées à ma fille, je diversifie ses jouets. Heureusement, son papa me suit à 100%, tout comme notre entourage familial : ma mère lui a offert un établi avec ses outils, et ma belle-mère n'hésite pas à monter au créneau devant les petites remarques insidieuses.
Concernant les vêtements, je ne me prends plus la tête : l'idée n'est pas non plus de refuser le rose ou les robes à ma petite fille pour un combat qui la dépasse et qu'elle n'aura (j'espère) jamais à mener. Ma priorité est surtout de ne pas l'entraver dans ses mouvements : les petites filles qui trébuchent sur leur robe trop longue, ça me fait trop de peine…
Quels sont les domaines sur lesquels il faut encore faire des efforts, selon vous ?
DF : Ce qui me préoccupe déjà, c'est le choix des activités extra-scolaires, puis des spécialisations au moment des études. Je trouve vraiment dommage que, de nos jours encore, des domaines entiers soient presque exclusivement réservés aux femmes : études littéraires, danse classique, petite enfance, etc.
J'espère que mon fils saura s'affranchir de ces préjugés et développer des goûts sûrs, même s'ils ne sont pas encore partagés par la majorité. S'il aime le foot tant mieux (ou tant pis !), mais il n'est pas obligé !
L : La place de la mère et du père, et plus généralement, des femmes et des hommes dans la société qui entoure nos enfants est à repenser.
Par exemple, la plupart des personnes qui s'occupent de ma fille sont des femmes : à la crèche, il n'y a que des puéricultrices, et l'animatrice musicale qui leur chante des comptines est une femme. Et les rares fois où nous avons eu recours à des baby-sitters, c'étaient des jeunes filles. Par contre, le médecin et le psychologue de la crèche sont des hommes. Alors certes, il y a des hommes et des femmes dans la vie de mon enfant, mais je fais le triste constat que les personnes dont la place dans la société est (malheureusement) bien plus valorisée sont toutes des hommes.
Heureusement, nous arrivons à un bel équilibre quant à la place du père et de la mère dans la vie de notre bébé : son père s'est autant levé que moi la nuit, il l'emmène à la crèche le matin, et je vais la chercher le soir. Nous avons pratiquement autant de déplacements professionnels l'un que l'autre, nos horaires de travail sont similaires, et nous l'emmenons à tour de rôle chez le médecin.
Bien sûr, c'est un luxe d'avoir des métiers qui nous permettent cette flexibilité, et je suis bien consciente que parfois, le déséquilibre qui s'installe entre père et mère n'est souhaité par aucun des deux.
Ce qui m'étonne, c'est que même dans notre cas, alors que le travail de son papa est aussi proche de la crèche que le mien, la crèche m'appelle moi en priorité lorsqu'il faut venir chercher ChérieChou en urgence. Et lorsque l'un de nous oublie de faire passer une consigne particulière, on pense par défaut que c'est le papa qui a oublié.
Ça me blesse de voir qu'on le considère comme un parent au rabais, tout ça parce qu'il est père. Et ça met une sacrée pression sur mes épaules, de voir qu'on attend tant de moi, tout ça parce que je suis mère. Et quel exemple est-ce que ça donne à notre fille ?
Quel serait votre bilan ?
DF : À l'origine, je pensais terminer cet article sur une note positive. J'ai en effet parfois l'impression que nous sommes sur la bonne voie, et que mes préoccupations de maman semblent finalement normales à beaucoup aujourd'hui…
Et puis, j'ai lu les réponses de Louna, et je me suis rendu compte que la route était encore longue. Peut-être que mon avis est déformé parce que j'ai un petit garçon, justement, et que mine de rien, ça reste la place la plus confortable – la moins contraignante ?
Quoi qu'il en soit, je resterai vigilante sur ce point à l'avenir ! Et je te propose de revenir d'ici deux ou trois ans pour te raconter ça !
L : Je pense que l'essentiel est de montrer à nos enfants, par nos actes et nos choix du quotidien, qu'ils ont toute liberté pour choisir leur voie, et que rien, et surtout pas leur sexe, ne doit les restreindre et les cantonner à un rôle qu'ils n'auraient choisi que par défaut.
(Tous les articles de Die Franzoesin)
Et toi ? As-tu eu l'impression de sentir beaucoup de stéréotypes peser sur l'enfance de tes enfants ? Est-ce que ça te dérange ? Ou est-ce que cette situation te convient ? Essaies-tu de faire bouger les choses ? Viens en parler avec nous !