Au moment où nous avons décidé de faire un bébé, nous avions choisi de ne rien dire. Personne ne se doutait que nous voulions avoir un enfant maintenant, on tenait à créer la surprise en l’annoncant. On trouvait aussi que c’était drôle, on se disait souvent : si les gens connaissaient nos projets, ils seraient tellement étonnés !
Et puis, au bout de quelques mois où rien n’arrivait, ni un bébé ni même mes règles, on a décidé de continuer à garder le silence. Je ne souhaitais pas que les gens me posent la question : « alors, et ce bébé, il arrive ? ». Ou bien : « vous avez perdu le mode d’emploi ? ».
Oui, parfois, les gens racontent n’importe quoi, ne se rendent pas compte de la portée de leur mots. Je n’avais pas envie de devoir répondre continuellement à ce genre d’interrogation, qui allaient m’agacer au plus haut point, je le savais.
Et puis, tu as toujours une personne qui a une histoire à te raconter, du style : « La fille de la voisine de ma mère n’y arrivait pas non plus. Et puis, ils ont fait des traitements, et au bout de 4 ans, ça a marché. Alors il n’y a pas de raison que ça ne marche pas pour vous ! ». Ce genre de réflexion, je savais aussi que j’y aurais droit. Même si cela part d’une bonne intention, je ne voulais pas l’entendre.
Je savais bien que d’autres personnes que nous avaient des problèmes d’infertilité, qu’il y avait des tonnes de traitements possibles, que beaucoup réussissaient… Mais je n’avais pas envie qu’on me le rabâche sans cesse. Je refusais que notre difficulté à avoir un bébé alimente les discussions du dimanche midi !
Enfin, cela va certainement te paraitre stupide, mais le fait que personne ne soit au courant rendait la chose abstraite. C’était comme si on n’avait pas vraiment de problème, on n’essayait pas vraiment. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais j’avais l’impression que, comme aux yeux des gens nous n’étions pas en train d’essayer – sans succès qui plus est -, c’était un peu la réalité.
Je savais que du moment où cela deviendrait public, ça deviendrait beaucoup plus réel. Nous serions rangé dans la case « des couples ayant des difficultés à avoir un bébé », alors que pour le moment, nous étions « un couple en train de préparer notre mariage ». Je préferais de loin cette solution.
Je pensais que garder le silence , le partager uniquement avec mon homme était la bonne solution. Que cela éviterait les questions qui pourraient nous blesser, nous toucher, la maladresse de certains ou la compassion des autres. Nous n’avions pas besoin de tout ça, ça n’allait pas résoudre le problème!
Mais je dois dire que l’envie de bébé commençait à me bouffer l’esprit, j’y pensais souvent, ça me rongeait de l’intérieur. Je crevais de jalousie devant les femmes avec leur ventre rond ou celles qui poussaient une poussette. Parfois, je pleurais seule chez moi, car l’angoisse de ne jamais être à leur place m’envahissait tout entière, me crevait le cœur.
Et à chaque fois que j’apprenais qu’une personne que je connaissais était enceinte, je la félicitais… Mais ça me détruisait au plus profond de mon être. Je faisais ce que je pouvais pour ne rien laisser transparaitre, faire comme si de rien n’était. Et puis, je rentrais chez moi, dévastée, en larmes. Pourquoi elle et pas moi ???
Cette question revenait tout le temps ! Elle est stupide, et surtout irrationnelle, mais dans ces moments-là je n’étais pas capable de raisonner vraiment. J’étais évidemment très heureuse pour toutes ces filles qui allaient vivre un vrai chamboulement, et surtout un vrai bonheur, mais j’étais triste pour nous, tellement triste.
J’avais un sentiment de vide, que mon utérus ne me servait à rien. Je me renfermais sur moi-même, sur mon désarroi, ma peine. J’avais envie d’hurler à chaque fois que des gens se plaignaient parce qu’ils n’avaient pas dormi la nuit à cause de leur petit, j’aurais tué pour être à leur place !
Mon mari se sentait désemparé face à tout ça. Il vivait lui aussi cette échec, mais d’une façon totalement différente. Il a cette grande capacité à toujours être positif, et il ne se laisse pas envahir par de sombres pensées.
Plus le temps passait, et plus il pensait que nous devrions en parler, car il trouvait que cela me bouffait trop, que si je me confiais à quelqu’un, que je lâchais notre secret, je me sentirais plus légère, et que ça me ferai du bien. Je ne me sentais pas encore prête, et surtout, je ne pensais pas que cela soit la solution.
Et puis, mon traitement m’a conduit à l’hopital. Rien de bien grave, mais comment justifier l’hospitalisation auprès de notre famille ? Là, mon mari a coupé court et m’a dit: » ça suffit maintenant, on explique à nos proches ce qui se passe vraiment! »
Mes parents l’avaient plus ou moins compris tout seuls. Mais en ayant vécu la même chose, ils ne souhaitaient pas nous brusquer, ils attendaient juste que nous soyons prêts à en parler. Ils ont réagi de la meilleure des façons en nous disant qu’ils comprenaient exactement ce qu’on vivait, pour l’avoir vécu avant nous. J’ai aimé leur réaction, elle était parfaite, je me suis sentie entourée, épaulée, comprise.
Et effectivement, de pouvoir mettre des mots sur mes émotions, d’ouvrir la boîte de Pandore a été salvateur pour moi. Je me suis sentie soudain libérée, je n’avais plus à me cacher, à cacher mes émotions. Et puis mes proches comprenaient maintenant certaines de mes réactions, cela devenait limpide pour eux comme pour nous. Le problème était toujours là, bien présent, mais il n’y avait plus de secret.