Dans l'épisode précédent, je te racontais comment j'avais atterri aux urgences traînée par mon cher et tendre, l'attente qui avait suivie et la découverte de ma grossesse. Je t'avais lâchement abandonné.e au moment où un gentil brancardier à barbe de Père Noël était venu me chercher pour m'emmener aux urgences de la maternité.
La fin de l'attente
Quand on arrive aux urgences de la maternité, il y a, dans un coin, un groupe de 5 ou 6 professionnel.le.s de santé qui semblent tenir un conciliabule. Mon gentil brancardier hésite, puis il me gare sur le côté et s'en va en m'assurant qu'on va venir s'occuper de moi. Là, le désespoir m'envahit. Mon brancardier-Père-Noël m'aurait menti ? On va encore me laisser moisir dans un coin pendant des heures ?
Mais je n'ai pas le temps de désespérer longtemps. Soudain le petit groupe se disperse et s'affaire autour de moi. (J'ai compris plus tard que c'était moi, en fait, l'objet du conciliabule.) On me déshabille. On tente de prendre ma tension, en vain. (Là aussi, j'ai compris plus tard que mon pouls n'était plus assez fort pour que les tensiomètres puissent le détecter. Mais sur le moment, moi j'ai juste cru que leurs foutues machines ne fonctionnaient plus.) On est attentif à mes sensations. J'ai la tête qui tourne le temps d'enlever mon pull ? On incline le brancard pour que j'ai la tête en bas ! (Oui, là aussi, c'est plus tard que je saurai qu'à ce moment là, le plus urgent était que le cerveau reste bien irrigué.) On m'explique en quatrième vitesse qu'on va me faire une échographie par voie endovaginale pour voir si mon utérus est habité. Ça me fait un mal de chien. (J'ai découvert lors de ma deuxième grossesse qu'en temps normal c'est indolore.) Verdict : pas d'embryon dans l'utérus, mais beaucoup de sang. « Madame, vous faites une grossesse extra-utérine. On va vous opérer. » (Moi en pensée : « Mais oui ! Vite ! Vite ! Endormez-moi ! »)
Une fraction de seconde, j'ai pensé à la mort en entrant dans le bloc, sans savoir que, sauf intervention rapide, c'était un vrai risque et en concluant que, de toute façon, je souffrais trop, je voulais juste que ça s'arrête… d'une façon ou d'une autre.
Crédit photo (creative commons) : sasint
Le réveil
Je commence à reprendre conscience environ 2 heures plus tard à cause de la sensation désagréable de l'extubation. Quand je me réveille complètement, je crois que la première chose que je fais c'est sourire. Je suis tellement bien ! Je n'ai plus envie de vomir, je respire normalement, je sens tous mes membres malgré quelques fourmillements, je n'ai mal nulle part et puis j'ai bien chaud sous ma couette chauffante… Le pied intégral ! Ça paraît fou de se sentir si bien dans une salle de réveil, mais moi j'y serais bien restée. Un docteur m'explique qu'on m'a enlevé une trompe et sourit quand je lui demande, avec ma voix éraillée d'ancienne intubée, si ça risque de m'empêcher d'avoir des enfants. Il m'explique aussi que j'ai été transfusée… Choc pour moi. La transfusion, à mes yeux, c'est pour les gens en danger de mort… Il me conseille aussi de parler de ce qui m'est arrivée à un psy… Je suis étonnée et puis je me dis qu'il ne sait peut-être pas que j'ignorais ma grossesse et qu'il a sûrement peur que je sois traumatisée par la perte de l'embryon…
Mamour est autorisé à venir me voir. On me dit qu'il s'est beaucoup inquiété. C'est vrai que je n'ai pas beaucoup parlé de lui depuis notre départ de la maison. Il a attendu, attendu… Il a pu venir me voir en coup de vent aux urgences adultes quand j'étais sur mon brancard et en a profité pour me gronder de ne pas lui avoir donné de nouvelles. Sur le coup, je lui en ai voulu : mon portable était dans mon sac, mon sac à mes pieds et, ce qui lui paraissait simple à lui, tendre le bras pour attraper mon sac, prendre mon portable et lui envoyer un message, était insurmontable pour moi tant j'étais physiquement mal. Il m'avait vue livide et avait compris qu'il avait vu juste et même pire, que j'étais en train de me vider de mon sang à l'intérieur. Il était ressorti, avait avalé tant bien que mal un sandwich avant qu'on ne l'appelle pour lui dire que j'entrais au bloc, puis qu'on le rappelle 2 heures plus tard pour lui dire que tout allait bien.
J'ai perdu près de deux litres de sang. Il faut savoir que je suis un petit gabarit alors deux litres sur moi c'est probablement la moitié de mon volume sanguin… L'hémorragie interne devait durer depuis des jours, en goutte à goutte, sans que je le sache. À bien y réfléchir, je me suis souvenue après coup avoir ressenti de légers malaises les jours précédents, mais rien qui ne m'ait alarmée.
Crédit photo (creative commons) : rdelarosa0
Je n'ai pas encore bien conscience de tout ça quand on m'emmène dans ma chambre. J'ai reçu les informations, mais je ne les ai pas vraiment analysées. J'entre dans une chambre double. En temps normal, ça m'aurait embêtée de devoir partager mon intimité avec une étrangère, mais là je suis tellement contente d'être « réparée » que je lance un tonitruant « Bonjour ! » à ma compagne de chambrée… toujours avec ma voix éraillée d'ancienne intubée… Ça fait rire le brancardier (ou la brancardière… à ce moment là de l'histoire, je m'en fiche). On me met dans le lit avec ordre de ne pas me lever. Je suis sondée donc je n'ai pas besoin d'aller aux toilettes. Mamour me rejoint rapidement avec quelques affaires qu'il est allé chercher chez nous. Il a pensé à me prendre un bouquin et ça me fait plaisir. Dès qu'il part je me plonge dans la lecture de mon gros pavé du moment. Une infirmière ou une aide-soignante rentre et me dit : « Oula ! Vous êtes sûre que vous êtes assez en forme pour lire !? » Mais oui, je me sens très bien ! Je lis allongée en plus ! Il est où le problème ?
La prise de conscience
Dans les heures qui ont suivi et le lendemain, presque toutes les personnes à qui j'ai parlé m'ont dit que j'aurais certainement intérêt à parler de ce qui m'était arrivé à un psy : ma belle-mère, ma compagne de chambre, le personnel médical, Mamour bien sûr… Je ne comprenais pas pourquoi. Je croyais toujours qu'il s'agissait de s'épancher sur la fin de la grossesse, mais, et là encore je sais que je risque de choquer, cette perte ne m'affectait pas. J'ignorais que j'étais enceinte et quand je l'ai découvert c'était parce que ça me faisait terriblement souffrir. Alors je n'avais pas eu le temps d'y projeter quoique ce soit.
C'est au cours de ma seconde nuit d'hospitalisation que j'ai pris la mesure de ce à côté de quoi j'étais passée et que j'ai compris que, ce dont tout ces gens me conseillaient de parler, c'était du fait d'avoir frôlé la mort. J'ai passée presque toute la nuit éveillée, ou alors j'ai dormi par intermittence je ne sais pas, mais je sais que cette nuit-là a été comme une forme de thérapie déjà.
Et si Mamour avait travaillé ce jour là ?
Et toi ? As-tu déjà été opéré.e en urgence ? Qu'as-tu ressenti ? Raconte !