Il est là, en face de moi. Avec sa belle et propre blouse blanche. Il est très beau, charmant et gentil.
« Alors, pourquoi vous venez me voir ? »
Ben oui, c’est vrai, ça, pourquoi je viens le voir ? J’ai 32 ans, je suis mariée depuis sept ans, et j’ai deux beaux enfants merveilleux qui me comblent.
À l’arrivée de mon deuxième garçon, j’étais pleine de beaux projets. Pleine de rêves concernant ce que je souhaitais être. Pleine d’admirables principes qui, j’en étais persuadée, m’aideraient à m’épanouir pleinement dans ce rôle de maman :
- Cette fois, pas de reprise anticipée du travail : je profite de mon bébé.
- Cette fois, je ne vais pas laisser pleurer mon bébé : j’écoute ses besoins.
- Cette fois, je vais le porter un maximum : je le garde tout contre moi.
- Cette fois, je vais allaiter le plus longtemps possible : j’entretiens notre relation si particulière.
Bref, cette fois, je vais materner.
Crédits photo (creative commons) : sima dimitric
Mais au bout de neuf mois, ça a été la catastrophe, la dégringolade. Mon bébé se réveillait toutes les quarante-cinq minutes. Je manquais sévèrement de sommeil, ce sommeil si précieux et réparateur.
La privation de sommeil était une torture utilisée par les nazis pendant la guerre. Les prisonniers étaient enfermés dans des geôles trop petites pour s’y tenir debout, et trop étroites pour s’y allonger. Ils y restaient parfois des jours entiers. Nos enfants ne sont pas des nazis, bien au contraire. Mais quand on manque de sommeil, on devient très vite irrationnelle. Le point de non-retour n’est pas loin.
Je comprends ces mamans qui pètent un boulon. Je ne les excuse pas, mais je les comprends. Je me retrouvais en elles avant d’être aidée. Si on n’a pas la chance d’avoir quelqu’un pour nous aider, on ne peut pas exprimer sa souffrance. Je ne les excuse pas, mais je ne leur jette pas la pierre.
Moi, épuisée, j’ai décidé de me faire aider, et j’ai fini hospitalisée dans une unité mère-bébé, en hôpital psychiatrique, sous médicaments. C’était mon choix. Cette hospitalisation a été bénéfique pour moi : elle m’a permis de continuer à avancer, au lieu de m’enfoncer dans une mort lente et silencieuse.
J’ai décidé d’arrêter mon maternage : ce n’était pas à mon bébé de m’aider à m’épanouir. Il voulait vivre seul et être autonome, il ne voulait pas être porté, ni qu’on lui donne à manger, il ne voulait plus téter. À 9 mois, il savait déjà bien ce qu’il voulait, ce petit !
C’est encore tabou pour moi : quand j’en parle, je pleure. Mes résolutions ont été un échec. On en vit beaucoup, des échecs, en tant que maman. Mais comme on dit, l’important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. J’ai décidé d’en faire ma devise, et depuis, je tente d’atterrir du mieux que je peux.
Alors oui, qu’est-ce que je fais là, devant mon gynéco ?
« Je voudrais faire enlever mon stérilet, » je parviens finalement à lui répondre, en rougissant.
Je suis sûre qu’il sait. C’est écrit sur ma figure, que je n’ai pas réussi. Sur mon front, l’hôpital psychiatrique a tatoué : « Maman faillible – a fait un burnout – ne devrait plus procréer ».
Mais après tout, je ne suis pas la première maman à avoir fait un burnout, si ? Autour de moi, je vois des mamans qui sont épuisées, mais personne ne se prend en main, personne ne se fait aider. Pourquoi ? Décider de se faire aider, c’est avouer sa fragilité. C’est accepter de dire : « Je ne suis pas parfaite. » C’est dur.
« Ah, vous voulez un autre enfant ? »
Il semble surpris et content pour moi. Rationnellement, je sais bien qu’il ne sait rien. Je ne lui ai rien dit… Et quand bien même il saurait, il n’aurait pas son mot à dire. Cette décision, nous l’avons prise mon mari et moi. Et elle ne regarde que nous. Les raisons qui la motivent sont tout aussi personnelles que ce désir d’enfant qui nous anime, nous prend aux tripes. Nous ne sommes pas complets. Notre famille n’est pas terminée.
« Oui, mais pas tout de suite, hein, on va peut-être attendre un peu, » je me justifie.
Mais en réalité, dès le stérilet enlevé, nous nous y attelons directement.
Quand je parle de mon hospitalisation à des gens qui ne me connaissent pas, je dis : « J’étais dans une unité pour mamans dépressives. Comme ils avaient de la place, ils m’ont prise. » J’insiste beaucoup sur le fait que je n’étais et ne suis pas dépressive.
Ce burnout, c’était il y a deux ans. Pourquoi j’éprouve toujours le besoin de me justifier sans cesse ? Pourquoi cette honte qui me colle à la peau ? Après tout, c’est tellement simple d’être maman. C’est si beau, si parfait, si épanouissant. C’est ce qu’on voit dans les films, ce qui est écrit dans les livres… Et si c’était un mensonge ?
Bébé n’est toujours pas niché dans le creux de mon ventre. Pour mes garçons, je n’ai pas eu de problème pour tomber enceinte, alors je sais que ça va venir. Certains mois, j’ai plus de questionnements que d’autres. J’ai aussi éprouvé le besoin de dire à ma famille que nous souhaitions nous agrandir. J’ai toujours peur du jugement.
Mais même s’il nous aura fallu du temps pour nous remettre, à présent, bébé peut arriver. Nous sommes prêts.
Et toi ? As-tu rencontré des difficultés à la naissance de ton bébé ? Te mettais-tu une pression trop forte ? As-tu pu te faire aider ? Viens en parler…
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Toi aussi, tu veux témoigner ? C’est par ici !