Contrairement à Hermy, je ne peux pas dire que je garde un bon souvenir de la néonat. Ça a été une épreuve pour nous, ça a forgé notre relation avec notre fils, et de ce fait, ça nous suivra certainement toute notre vie. Bien que nous ayons l'immense chance qu'il n'ait pas de séquelle physique.
Je ne sais pas si je pourrais te décrire le quotidien en réanimation néonatale, car il n'y en a pas vraiment. Il y a une sorte de routine : se présenter à l'interphone au bout du couloir, se laver les mains, accélérer le pas pour franchir les derniers mètres jusqu'à SA porte, plonger le regard dans la couveuse… mais sans jamais savoir ce qu'on va y trouver.
On ne peut jurer de rien. D'ailleurs, les médecins ne le font pas. Ils font des sortes de pronostics, ils parlent beaucoup au conditionnel. C'était compliqué à gérer pour mon mari, qui aurait aimé qu'on le rassure. Mais on a vite compris qu'en réanimation néonatale, les médecins repoussent un peu les limites de la nature, alors ils marchent sur des œufs. Ce sont les montagnes russes.
Crédits photo (creative commons) : César Rincón
Commençons par le commencement : notre fils est né à 29SA. À son arrivée dans le service, il pesait 840g pour à peine 33cm. Il avait l'air d'un souriceau : une peau transparente et un peu rouge, quelques poils blonds un peu partout sur le haut du corps, les veines très visibles sous le crâne, et forcément, une grande maigreur. Je ne l'ai pas trouvé beau, mais ça n'avait aucune importance.
Quand je l'ai vu pour la première fois, il était bardé de fils et de capteurs : trois électrodes sur la poitrine pour suivre ses rythmes cardiaque et pulmonaire, un capteur au niveau du pied pour la saturation en oxygène, le respirateur, la sonde dans le nez pour l'alimenter, et la perfusion, d'abord dans le nombril (ce qui interdisait le peau-à-peau), puis dans le bras (et ça remontait jusqu'au cœur).
Avec tout ça, il était difficile de ne pas réaliser que mon bébé luttait pour sa vie. Et les premiers jours, l'attachement a été compliqué à mettre en place : même si nous savions depuis plusieurs semaines que cette grossesse n'irait pas jusqu'au terme, je ne m'attendais pas à accoucher si tôt.
Quand le lendemain de sa naissance, je me suis présentée à l'interphone comme « la maman de C. », j'avais une impression d'usurpation : après six mois d'une grossesse très compliquée, j'avais à peine eu le temps de me faire à l'idée que j'étais enceinte que j'étais déjà propulsée maman.
J'ai demandé à voir la psychologue du service pendant mon séjour à la maternité. Elle m'a aidée à formuler les pensées qui s'entrechoquaient dans mon cerveau : une partie de moi était folle d'amour pour ce tout petit être, mais l'autre me hurlait de ne pas m'attacher, pour ne pas souffrir davantage (une amniocentèse était en cours au moment de la naissance). Dans une même conversation, je pouvais aborder ma fierté face à la force de notre fils, et le fait que j'aimerais qu'il puisse être donneur d'organes si ça devait mal finir…
Ce genre de grand écart émotionnel, ça a été notre vie pendant trois mois.
Je venais tous les jours, pendant six à huit heures, pour trois heures de peau-à-peau et tous les autres soins. Je ne partais jamais tant qu'il ne dormait pas : c'était trop dur de rater des moments d'éveil. Mon mari passait avant ou après le travail, rarement en même temps que moi, sauf pour les événements comme le bain.
Je faisais des photos et des films de lui tous les jours. Et j'écrivais un résumé de sa journée dans un petit cahier, que je continue à compléter de temps en temps, depuis neuf ans à présent.
Il y avait un côté un peu bipolaire à rentrer chez nous le soir, gérer notre soirée en tête-à-tête, pouvoir sortir si on le souhaitait, comme si de rien n'était. Avec quand même le petit coup de fil du soir, pour savoir si tout allait bien avant de se coucher. Et le tirage de mon lait vers 3h du matin.
À chaque « moisiversaire », je craquais. Grosse crise de larmes, besoin d'une journée hors de l'hôpital pour recharger les batteries.
Bien sûr, c'est devenu quand même un peu moins dur au fil du temps : il a d'abord été extubé (il était sous oxygène pulsé dans le nez, et non plus par un tuyau dans sa gorge), ensuite, il a atteint le kilo (ça a pris plus de trois semaines !), puis on a pu lui donner un bain. Il est passé en table chauffante (sorte de lit ouvert, avec matelas chauffé) et on a pu l'habiller. Enfin, il est passé dans un berceau de maternité incliné quand il est monté en néonat.
Comme il avait un très gros reflux, il restait sous surveillance, car il faisait encore quelques incidents cardiaques appelés bradycardies : sous l'effet de la douleur du reflux, son cœur s'arrêtait un instant, son rythme cardiaque baissait beaucoup, puis remontait.
C'est ce dernier souci qui a pris du temps à passer. On a même reculé sa sortie de quarante-huit heures au dernier moment, car il fallait qu'il n'ait pas fait d'incidents pendant deux jours pleins pour pouvoir sortir, et il en avait fait un la nuit précédente. Nous sommes donc retournés chez nous avec le cosy et tout le reste. Ça a été ma dernière crise de larmes de néonat.
Pour conclure, ce sont des mois qui ont marqué à jamais notre lien avec notre fils. Du fait de ses malformations, il y a eu d'autres étapes à franchir ensemble, mais commencer la parentalité de cette façon a forcément été structurant pour nous. Dès le début pourtant, j'ai eu conscience que ça n'aurait pas été plus simple si ça n'avait pas été notre premier : je voyais certaines autres mamans le cœur déchiré entre un ou plusieurs enfants les réclamant à la maison et le besoin d'être auprès de leur tout-petit.
En résumé, la prématurité n'est pas une épreuve facile. Mais dans notre cas, elle s'est bien terminée, et je suis très reconnaissante aux médecins et au personnel soignant qui nous ont accompagnés.
Et toi ? As-tu vécu une telle épreuve ? Ton bébé est-il né prématuré ? Par quels sentiments es-tu passée ? Viens nous raconter…